À l’heure où il est permis de penser que le salut du film de genre français passe forcément par une production en marge du système existant, voir arriver un film comme Dealer a quelque chose de salvateur. Parce qu’il n’existe plus d’économie viable pour les films rentre-dans-le-lard bien de chez nous (ils sont évités comme la peste par les distributeurs, et ne perçoivent que des aides infimes de la part de notre gentil CNC), il est logique que Jean-Luc Herbulot, réalisateur de courts, et Dan Bronchinson, acteur à la filmo hésitante devenu pour les besoins du film co-producteur, se soient retroussés les manches pour produire, à la sueur du front, le long-métrage qui propulserait pour de bon leur carrière. En conséquence, Dealer est l’un de ces rares films français qui ne sont, encore aujourd’hui, pas certains de trouver le chemin des salles hexagonales : le projet s’est monté sous le radar, sans subvention, et sans doute sans autorisation de tournage parisien.
[quote_center] »Un pillage pur et simple de l’œuvre-choc de Nicolas Winding Refn. »[/quote_center]
Ce côté « à l’arrache », non-autorisé, sied bien au film, puisque Dealer, comme son nom l’indique clairement, a pour énergumène principal… un dealer, que l’on appellera Dan (« on s’en fout de mon nom », proclame-t-il dès les premières minutes en voix off), qui va passer les 24 heures les plus infernales de sa sombre vie. Dan, faute de meilleur terme, est un délinquant récidiviste, un type sans trop de remords qui après quelques années passées à fourguer des psychotropes ou à fréquenter les prisons parisiennes, veut tourner la page et partir en Australie avec sa petite fille. Seulement, comme dans tous les films où les gentils voyous veulent raccrocher après un dernier job, Dan accepte la livraison de trop, qui va déclencher une réaction en chaine et l’emmener au bord du gouffre.
La France qui fait peur
En moins de 80 minutes générique compris, Herbulot et Bronchinson, qui ont tourné le film en 12 jours et quasi intégralement en caméra à l’épaule, ont tenté de réaliser une série B en forme d’uppercut, expulsée sans autre forme de procès au visage d’un public non-averti. Le montage est ultra-cut, la caméra s’agite perpétuellement, comme pour créer, avec peu de moyens, ce sentiment d’agitation intérieure, de rage et d’insécurité, qui forme en définitive le quotidien de Dan. Constamment au bord de la rupture épileptique, avec des micro-montages à la Requiem for a dream et des bancs-titres chapitrant le film comme un scénario en cours d’écriture, Dealer a pour ambition manifeste de prendre le spectateur à la gorge pour ne plus le lâcher. À la part la fille de Dan, l’innocence est absente de ce monde impitoyablement communautarisé, où tous les personnages croisés sont soit vulgaires, soit sadiques.
Ce monde, c’est pourtant Paris, les deals de drogue s’y déroulent derrière les portes cochères, des clans surarmés vivent en périphérie… Bref, pour paraphraser Mickey 3D, cet univers-là, c’est un peu la France qui fait peur. Et Dealer plonge son pif droit dedans, sans jamais reprendre le temps de respirer. Cette ambition-là, le film la porte en étendard, et malgré la violence verbale puis graphique (une scène de mise à mort impitoyable, en particulier, marque les esprits) dans laquelle il baigne, cette droiture mérite quelques louanges.
N’est pas Pusher qui veut (bis)
Là où le bat blesse, malgré tout, c’est dans les problèmes d’écriture et d’interprétation, conséquences logiques d’une production flirtant à plusieurs reprises avec l’amateurisme faute de moyens. Si Dan Bronchinson compose une tête d’affiche crédible en lointain cousin, version titi parisien et « mandales à taux fixe », du Renton de Trainspotting, et que certains de ses acolytes menaçants ont la tête de l’emploi, tout le casting n’est pas aussi convaincant. Les scènes les plus inutiles, où Dan tabasse des gays, braque des étudiants à la tête d’un site X, ou se fait empoisonner dans une boîte de nuit, sont aussi celles qui pâtissent des interprétations les plus embarrassantes, à peine dignes d’un court-métrage de fin d’études.
La gestion « en temps réel » des mésaventures de notre dealer est par ailleurs un brin hasardeuse : comment croire que le temps lui est compté à partir du moment où il peut faire des dizaines d’allers-retours dans et hors de Paris en moins de trois heures ? Le côté donneur de baffes de Dan pose aussi problème, puisque le personnage, de base assez irresponsable, gagne à force de filer des tartes à tous ceux qu’il croise un improbable capital sympathie. Difficile tout de même d’entrer en empathie avec un lascar au langage certes fleuri, mais qui traite ses copines de pute et braque des innocents en pleine rue pour rembourser ses dettes.
Mais ce qui finit par rendre Dealer vraiment déplaisant, ce sont les emprunts systématiques à l’inusable Pusher. Encore qu’emprunt est peut-être un mauvais terme : le film constitue un pillage pur et simple de l’œuvre-choc de Nicolas Winding Refn. Du pitch de départ au twist final, des personnages aux situations dans lesquelles Dan se retrouve piégé, absolument tout renvoie à Pusher ou à son remake officiel. À ce niveau-là, ce n’est plus de l’hommage, mais de la paresse, et il faudrait plus qu’une virée chez des gitans hauts en couleur pour redonner du crédit à ce Dealer au blason certes respectable, mais un peu trop malhonnête pour remporter le grisbi.
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Dealer
De Jean-Luc Herbulot
2014 / France / 76 minutes
Avec Dan Bronchinson, Elsa Madeleine, Salem Kali
Sortie le 1er octobre 2015 en VOD
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