Operation Brothers : quand Chris Evans sauve l’Afrique

par | 30 août 2019

Sous ses allures de simili-Argo, Operation Brothers n’est qu’un film d’espionnage oubliable, dont l’approche jure avec le tragique de l’histoire dont il s’inspire.

Déjà nostalgiques de Captain America ? Netflix a pensé à vous cet été, en se payant les droits d’Operation Brothers (traduction « française » de Red Sea Diving Resort), tourné dans la foulée des Avengers par sa star Chris Evans. Et c’est peu dire que le Cap’ est la vedette de ce film signé Gideon Raff (co-créateur de la série Prisoners of War, et co-producteur de son remake US Homeland), dont le pitch et la bande-annonce ne pouvaient que susciter les comparaisons avec Argo. Barbu et élégamment chevelu, Evans, de tous les plans, est le héros borné et plein de défauts mais définitivement altruiste et courageux de ce film d’espionnage américain, tiré d’une histoire vraie sans doute moins manichéenne et plus passionnante que le scénario qui en a été tiré.

Tout comme le long-métrage oscarisé de Ben Affleck, Operation Brothers nous plonge dans une époque politiquement tourmentée, soit le début des années 80. Un coup d’état force à l’exil des dizaines de tribus de juifs éthiopiens, qui n’ont d’autre choix que de pénétrer, à pied, dans le Soudan, où ils se retrouvent coincés dans des camps humanitaires soumis à la volonté de la junte militaire en place. Une grande partie de ces réfugiés pourra quitter le continent grâce à une opération menée par le Mossad. Leur mission : prétexter la réouverture d’un complexe hôtelier abandonné en bord de mer (le fameux Red Sea Diving Resort), pour qu’il serve la nuit de point de rencontrer pour les réfugiés, qui embarqueront à bord de navires militaires les amenant à l’abri en Israël. À la tête de cette opération risquée, se trouve Ari Levinson, interprété tout en biceps et air concerné… par Chris Evans, donc.

L’hôtel des espions

L’histoire que raconte Operation Brothers valait la peine d’être racontée. Vraiment. L’exode d’un peuple pris pour ainsi dire entre le marteau et l’enclume, les moyens mis en œuvre par une puissance étrangère amie pour faciliter leur extradition et empêcher un véritable crime contre l’humanité, le surréalisme de l’opération – l’hôtel en question, avec ses journées d’initiation à la plongée, a vraiment été géré pendant trois ans par les agents infiltrés, sans que les touristes ne se rendent compte de rien… Autant de thèmes et d’ingrédients riches pour une fiction ambitieuse. Le problème, c’est que Raff a manqué visiblement d’imagination et de rigueur pour transcender son sujet. Comment expliquer sinon que le film fasse autant d’efforts pour ressembler à un film d’espionnage hollywoodien tendance Mission : Impossible alors que la gravité du sujet évoquerait plus un traitement à la, disons, Hotel Rwanda ?

Nous avons, par exemple, droit à une séquence invraisemblable de recrutements des agents, si caricaturale qu’on s’attend à y croiser Ving Rhames, ou à un personnage de capitaine soudanais meurtrier ricanant, sexiste et sadique, tout droit sorti d’un film Cannon. Ben Kingsley vient aussi taper son chèque pour jouer le supérieur d’Evans, et supporter des répliques d’une platitude remarquable. Sans compter les montages musicaux sur l’équipe de Levinson (composée de spécialistes interchangeables et transparents, excepté celui joué par Alessandro Nivola) ou Evans, peu adapté pour interpréter un agent Israélien, et auquel le scénario prête toutes les qualités typiquement américaines du « white savior ». En gros : une tête brûlée affublée d’un complexe de supériorité qui aime trop son pays et la paix dans le monde pour suivre les ordres et s’occuper de sa famille. Operation Brothers digère à coups de hachoir une histoire complexe pour la transformer en divertissement rassurant, oubliant de rendre justice aux véritables victimes de cette tragédie humaine ailleurs que dans le générique de fin. L’excellent Michael K. Williams, dont le regard intense et habité donne une réelle intégrité à chaque scène où il apparaît, écope ainsi du rôle de Kabede, le passeur infatigable, rouage indispensable dans l’opération de Levinson fatalement dévoué à son sauveur blanc sans lequel il ne pourrait rien arriver. D’ailleurs, Williams n’a droit à aucune scène « en solo », dans laquelle Evans n’interviendrait pas en sa faveur. Kabede est le seul rôle parlant permettant de donner un visage au drame qui se noue chez ces « Beta Israël », terme désignant les juifs éthiopiens. Un déséquilibre tonal et narratif qui handicape sérieusement un film déjà peu mémorable en terme de découpage et de mise en scène.