La vie agitée, à la fois fabuleuse et dramatique, de l’ambivalent Steve Jobs commence à ressembler à une source inépuisable de fascination pour les studios américains. Le milliardaire patron d’Apple, décédé en 2011 d’un cancer à 56 ans, est sans aucun doute l’une des personnalités les plus influentes du XXIe siècle, pas seulement à cause de sa fortune, mais aussi du côté précurseur des révolutions technologiques qu’il a soutenu et promu avec sa société. Du Mac à iPhone, l’environnement connecté de notre société est à peine imaginable sans une petite pomme dans le paysage.
[quote_left] »Steve Jobs semble en effet avoir conquis la critique anglo-saxonne au vu des premiers retours. »[/quote_left] Ce qui passionne les biographes et Apple-addicts de par le monde se situe pourtant ailleurs : dans la personnalité conflictuelle de Jobs, ses luttes d’ego avec Steve Wozniak – le véritable inventeur des systèmes informatiques Apple – ou son éternel concurrent Bill Gates, dans son côté entrepreneur mégalomane aussi. Steve Jobs avait beau apparaître en public comme une sorte de gourou de la nouvelle technologie, il gérait sa société avec un perfectionnisme et un acharnement que beaucoup de ses proches n’ont pu supporter. Et cette lutte interne était de notoriété publique bien avant les années 2000 : dès 1999, le téléfilm Les pirates de la Silicon Valley racontaient par le menu l’histoire tumultueuse amenant à la naissance de l’informatique à domicile.
Un drame en trois actes
Il était logique de voir débarquer, quelques années après sa disparition, une première vision cinématographique de sa vie. C’est Joshua Michael Stern qui se collera à la réalisation de Jobs, un biopic fade, conventionnel et angélique unanimement conspué, qui avait pour seul atout la ressemblance frappante entre Ashton Kutcher et Jobs – pas que cela ait aidé la star de Hé mec elle est où ma caisse ? à devenir un acteur dramatique accompli. Un échec, en quelque sorte, qui laissait la voie libre à un projet ambitieux, qui a longtemps ressemblé à un serpent de mer frappé d’une mystérieuse malédiction. Les contours du script de Steve Jobs écrit par Aaron Sorkin, scénariste oscarisé de The Social Network mais aussi et surtout le créateur de la série Á la Maison-Blanche, sont connus depuis des années : adapté du livre de Walter Isaacson, le film auscultera la personnalité, l’évolution et les tourments du créateur de l’iMac en trois actes, comme une tragédie antique. Trois périodes, trois récits, qui captent l’homme et son travail à trois périodes différentes : la sortie du premier Mac, le lancement de son entreprise NeXT, après son renvoi d’Apple en 1985, et enfin le lancement de l’iPod, en 1998.
L’ambition et la précision du scénario de Sorkin attirent dans un premier temps son collaborateur de Social Network, David Fincher, avant que celui-ci ne jette l’éponge. Christian Bale est également longtemps pressenti, et même engagé à un stade, pour chausser les lunettes de Jobs, mais est ensuite écarté du projet. Enfin, après une lutte de pouvoir dont les coulisses seront déballées sur la place publique après le piratage dont ils sont victimes, Sony Pictures laisse partir le bébé au profit d’Universal. Aujourd’hui, Steve Jobs est donc le premier film de Danny Boyle depuis Trance : le réalisateur dirige dans le rôle-titre Michael Fassbender – qui lui ne ressemble pas vraiment à Jobs, mais qu’importe -, entouré par Kate Winslet, Jeff Daniels (The Newsroom, autre série de Sorkin) et Seth Rogen dans le rôle de Steve Wozniak. Et les très efficaces bandes-annonces révélées jusque ici laissent penser que l’attente autour du « projet Sorkin » en valait la peine.
L’Oscar pour Fassbender ?
Présenté en avant-première début septembre au Festival de Telluride, Steve Jobs semble en effet avoir conquis la critique anglo-saxonne au vu des premiers retours. Ce qui marque avant tout les journalistes, c’est l’explosivité verbale de la plume d’Aaron Sorkin – la véritable star du show ? – ainsi que l’interprétation de Fassbender, dont il se murmure qu’elle pourrait lui valoir une nomination aux Oscars. À moins que notre cher Magneto ne s’attire plutôt les faveurs de l’Académie avec son rôle principal dans Macbeth. La personnalité de Steve Jobs, tout comme celle de Mark Zuckerberg, semble en tout cas avoir fourni un carburant idéal à la prose inépuisable de Sorkin – dont l’exigence et le tempérament ombrageux ne sont finalement peut-être pas si éloignés de ceux de ses sujets. Verdict dans les salles françaises le 6 janvier 2016 !