L’Oracle : l’aventure du scalpel
La fermeture des cinémas due au coronavirus pousse le CNC à autoriser l’arrivée massive de films français inédits en VOD. Une situation sans précédent.
Peut-être avez-vous déjà croisé les affiches de l’Oracle qui fleurissent un peu partout dans nos rues ? Ce film allemand à gros budget (36 millions d’euros tout de même) a rencontré un beau succès en Allemagne et en Espagne au moment de sa sortie sur grand écran… en 2013 ! Grâce aux bons soins du distributeur Condor, nous pouvons (enfin !) le découvrir, mais en DTV uniquement. Cette superproduction est l’adaptation du roman de l’auteur américain, spécialisé dans le monde thérapeutique, Noah Gordon, Le médecin d’Ispahan, qui revient aux origines de la médecine. L’acteur britannique Sir Ben Kingsley incarne Avicenne, qui durant le 1er siècle, dans l’ancien Ouzbékistan, a posé les premiers piliers de la médecine moderne, tout en enseignant également la philosophie, les mathématiques, l’astronomie, l’alchimie ou en bien encore la musique. Que ceux qui s’étonneraient de voir à nouveau l’acteur avec du khôl sur les yeux interpréter un personnage oriental ne se méprennent pas. Cet interprète passionné de Shakespeare estime que « L’Oracle est une tragédie qui favorise l’élévation des esprits, ce qui est vital aujourd’hui. » Nous ne sommes pas ici en présence d’un nouveau Prince of Persia, mais bien d’un véritable mythe.
À la recherche du plus grand médecin de tous les temps
Existe-t-il un genre de la fresque médicale ? La question mérite d’être posée aux vues de l’importance historique du sujet, romancé certes, mais proposé avec sérieux par l’Oracle. En opposant l’obscurantiste monde occidental du Moyen-Âge à la lumière de l’Orient, véritable berceau du progrès scientifique à cette époque, le film s’aventure sur un terrain encore inexploré et intrigant. Dans une Angleterre sombre et décimée par un mystérieux « mal de côté », un jeune orphelin nommé Rob (l’acteur britannique prometteur Tom Payne, dont c’est le premier rôle-titre) rencontre Bader (Stellan Skargard, Melancolia, Millenium), un « barbier » itinérant qui propose quelques soins rudimentaires dans les villages et devient son disciple. Devenu grand, il assiste à l’opération de la cataracte de son maître par un médecin juif. Lorsqu’il demande au médecin d’où il tient son précieux savoir, il lui parle des enseignements d’Avicenne. Aussitôt, il décide de traverser la planète pour devenir l’élève du plus grand savant de tous les temps.
« Une histoire complexe par bien des aspects où les questions morales et religieuses s’entrechoquent jusqu’à une inévitable confrontation. »
En chemin, comme dans tout bon film d’aventure, il croise l’amour, en la personne Rebecca (Emma Rugby, Cartel), une jeune espagnole embarquée dans un mariage forcé. Avicenne vit dans le royaume du sultan Schah Ala ad-Daula (Olivier Martinez, césar du meilleur espoir masculin pour Un, deux, trois, soleil), un tyran, qui fait cohabiter dans une paix fragile, les musulmans et les juifs dans une cité-école particulièrement ouverte sur le savoir. Cette délicate harmonie est menacée par la venue de religieux obscurantistes (qui rappellent ceux d’aujourd’hui) qui voient d’un très mauvais œil la présence de juifs dans la société et les travaux d’Avicenne, considérés comme impurs.
Une grande richesse de traits
Derrière la splendeur des paysages et des couleurs du film, se cache une histoire complexe par bien des aspects où les questions morales et religieuses s’entrechoquent jusqu’à une inévitable confrontation. La question centrale, cruciale même, reste celle de l’autopsie d’un corps humain pour en découvrir les fondements s’oppose à toutes les doctrines qui fondent les sociétés modernes, autant en Occident qu’en Orient. Mais comment aurions-nous pu assimiler autant de connaissances, sans commettre cet « ultime blasphème » ?
L’Oracle regroupe tous les éléments d’un film d’aventure « à l’ancienne », avec une mise à scène très soignée, mais plutôt conventionnelle en prenant ainsi le risque d’ennuyer certain autant que de réjouir les amateurs d’un genre trop peu représenté au cinéma. Visuellement exceptionnel, il fait preuve d’un soin minutieux autour des décors (la ville au milieu du désert, la maison d’Avicenne, Londres à l’époque médiévale) et de la couleur aussi bien pour contraster les différents lieux, mais également pour distinguer les différents groupes de personnages par rapport à leurs vêtements. L’Oracle, qui aurait vraiment mérité une sortie en salle, se montre à la hauteur de ses ambitions : une fresque médicale ludique et romanesque enrichie par une large palette d’informations captivantes. Même si le film se suffit à lui-même, il donne envie d’approfondir davantage le personnage d’Avicenne qui reste, somme toute, au second plan, et d’en apprendre plus sur l’homme qu’il a été.