Dire que le quatrième film de Mamoru Hosoda (septième si l’on compte ses OAV Digimon réalisés en début de carrière) était attendu comme un événement serait un euphémisme. Les accolades et les compliments qui pleuvent sur le réalisateur japonais ne datent pas d’aujourd’hui : Les enfants loups est déjà venu confirmer le talent de ce cinéaste parvenant à créer au milieu d’une industrie animée trop formatée pour surprendre des œuvres cohérentes et personnelles, tout en conservant un attrait populaire. Takahata, Miyazaki et le regretté Satoshi Kon ont pavé la voie pour cette reconnaissance critique, et Hosoda est devenu aujourd’hui, qu’il l’accepte ou non, la référence moderne de ce médium. Grosse pression, donc, et grosse ambition dans ce Garçon et la Bête qui débarque sous l’égide de la Gaumont, après un succès monstrueux (c’est le cas de le dire) dans son pays natal.

Le garnement et la brute

Le garçon et la bête : entre mythes et réalité

 Tout comme pour Summer Wars, qui imaginait la réunion d’un clan familial transporté collectivement dans un monde virtuel, Hosoda déploie un récit à cheval sur deux univers parallèles : d’un côté le Tokyo moderne, grouillant de monde, familier et anxiogène à la fois, où déambule le jeune Ren, 9 ans. Père absent, mère décédée, le garçon rejette sa famille d’adoption et préfère s’enfuir dans les ruelles commerçantes de Shibuya. C’est là qu’il croise une nuit la route d’un personnage solitaire comme lui : Kumatetsu, un colosse aux traits bestiaux, dont la noble fourrure rouge évoque les félins, et les manières un ours mal léché. Bien malgré lui, Ren pénètre bientôt dans le monde de cet être étrange, à la façon d’une Alice des temps modernes. Direction Jutengai, une contrée fantastique et chamarrée, aux atours moyenâgeux : là, Kumatetsu est un grand guerrier, un autodidacte qui s’est mis dans la tête de devenir le grand maître des lieux. Mais pour cela, il doit avoir un disciple…

[quote_center] »Le garçon et la bête ne parvient pas à conclure son épopée intime avec la même conviction. »[/quote_center]

Les premières séquences du Garçon et la Bête placent d’emblée le film sous l’égide du récit littéraire et du conte. Une voix off, des ombres chinoises classieuses, des enjeux établis en quelques phrases, une musique glorieuse et conquérante : sans avoir abandonné la sensibilité intimiste qui le rend aussi précieux, Hosoda veut clairement livrer une œuvre spectaculaire et dépaysante. Quitte à placer son récit sur des rails confortables, qui le priveront à terme d’un certain impact émotionnel – oui, il s’agit bien ici de faire référence aux Enfants loups, dont le dernier acte était de ce point de vue dévastateur. Dès que nous rencontrons Ren et Kumatetsu, il devient clair que les manques sentimentaux de l’un répondent à la force de caractère de l’autre, et vice-versa. Fiers, farceurs et incapables de communiquer autrement qu’en se chamaillant, ces deux-là sont faits pour s’entendre et apprendre l’un de l’autre. Il n’y aura pas de surprise de ce côté, sinon dans la façon dont Hosoda va décrire leurs apprentissages respectifs.

Apprentissage à travers les âges

Le garçon et la bête : entre mythes et réalité

Rétif à toute forme d’autorité, mais fasciné par ce monde si différent (et ouvert à tous les possibles), Ren accepte donc de devenir le disciple de Kumatetsu, de changer de nom – il s’appellera dorénavant Kyuta – et d’explorer la voie du sabre. Tel un Karaté Kid renfrogné, Kyuta va découvrir la joie des exercices surréalistes, des entraînements sur fond de soleil couchant, et des leçons de vie iconoclastes délivrées par les acolytes de Kumatetsu. Ce dernier est moins un mentor qu’un outsider, et s’il doit apprendre quelque chose à ce garnement qui l’empêche de cuver en silence, ce sera malgré lui. Toute cette partie consacrée à l’apprentissage, aux méthodes de transmission du savoir, est irrésistible, parce qu’Hosoda sait construire des personnages immédiatement identifiables, tiraillés par des émotions contraires auxquelles il est facile de se raccrocher. Bien que familier, ce récit-là s’avère touchant, parce que sa simplicité apparente cache une myriade de détails qui font mouche (comme la petite boule kawai qui accompagne Kyuta, qu’il est difficile de ne pas interpréter comme un esprit réincarné, de sa mère par exemple), et parce qu’il se conclut par un « voyage vers l’Ouest » initiatique d’une grande beauté symbolique et visuelle. Une bifurcation temporaire qui laisse penser un instant que Le garçon et la bête va devenir une pure œuvre de fantasy larguant les amarres du quotidien.

Bien sûr, c’est un leurre, un moyen de souligner la transition temporelle qu’opère le film, de la même façon qu’Hosoda le faisait dans Les Enfants Loups. Au fil des saisons, les années passent dans le scénario, et bientôt, Kyuta nous apparaît comme un jeune homme accompli, toujours prompt aux sautes d’humeur, mais assez adulte (ou presque) pour regretter sa terre d’origine. L’heure est venue de tenter d’équilibrer les choses, entre ce monde mirifique, mais qui lui est toujours étranger, et le Japon réel, où demeure encore cette possibilité de retrouver son « vrai » père, de nouer une relation avec une camarade de classe. Bref, de trouver un sens à sa vie, en accord avec les principes que Kumatetsu lui a transmis. Cela pourrait paraître balourd et sentimental, mais Le garçon et la bête est tout le contraire : on se surprend à être autant ému et touché par les scènes de vie quotidienne animées par ce Kyuta adulte, que par les gamineries et les péripéties plus familières du monde de Jutengai. Un numéro de jonglage audacieux dont Hosoda est coutumier, et qui donne une vitalité extraordinaire au film.

L’intime et le spectaculaire

Le garçon et la bête : entre mythes et réalité

Néanmoins, à l’inverse des aventures d’Ame et Yuki, qui étaient tenues d’une main de maître jusqu’à leur inévitable conclusion, Le garçon et la bête ne parvient pas à conclure son épopée intime avec la même conviction. Le troisième acte, avec son deus ex machina machiavélique, prévisible à des kilomètres, convoque certes des visions à la fois apocalyptiques et poétiques (Moby Dick est lourdement cité en référence), mais s’appuie sur un antagoniste caricatural et des enjeux trop périphériques à l’action pour convaincre. Le spectre du film d’animation commercial japonais, avec ses scènes d’action dantesques et rallongées, son tempo dramatique réduit à des confrontations pétaradantes, apparaît alors en filigrane, et vient gâcher la fête d’un film idéal quand il se concentre plutôt sur le tandem promis par son titre.

C’est d’ailleurs en revenant à ses principes de base, et donc aux rapports de filiation qui irriguent tout le projet (voire toute la filmographie) du réalisateur, que Le garçon et la bête peut proposer un épilogue digne de ce nom. Une dernière note discrète, qui sous-entend comme dans son précédent long-métrage que l’accomplissement personnel n’est possible qu’en acceptant le sacrifice d’une partie de soi. Un message inhabituel et fort, rappelant que Mamoru Hosoda est un fin moraliste, et que ses films possèdent une richesse qu’une grande partie de ses collègues contemporains doivent depuis plusieurs années lui envier.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Quatre sur cinq
Le garçon et la bête (The Boy and the Beast)
De Mamoru Hosoda
2015 / Japon / 119 minutes
Avec les voix de Shotemani Shôta, Kôji Yakusho
Sortie le 13 janvier 2016
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