Satanés films d’horreur. Toujours là pour détourner les images d’Épinal du bonheur familial à des fins épouvantables. Prenez les fêtes de Noël : on a chaque année droit à des sucreries cinématographiques écœurantes, généralement américaines, mais aussi parfois françaises, comme ce Père Noël avec Tahar Rahim, de sinistre mémoire. Des films à voir avec les enfants, rassurants, pleins de bons sentiments et d’une morale fraternelle. Noël, c’est cool, on donne et on reçoit, on partage, on s’amuse. Mais tout ça c’est du cinéma, lancent avec ironie les réalisateurs comme Michael Dougherty. L’ancien scénariste attitré des films de super-héros de Bryan Singer a déjà perverti, à l’occasion de son premier long-métrage Trick’r’Treat, la tradition d’Halloween. Et le voilà maintenant qui s’attaque à Noël !

Enfin, pas tout à fait. Car dans Krampus, ça n’est pas d’un Père Noël psychopathe à la Douce nuit, sanglante nuit ou Rare Exports dont on parle. Et pour les plus connaisseurs qui auraient vu Saint, il ne s’agit pas non plus de Saint-Nicolas. Non, le croquemitaine en chef de ce conte bizarre s’appelle Krampus, et son origine remonte à des temps bien plus anciens que le gros barbu ou même le père Fouettard. Un monstre millénaire qu’un enfant imprudent convoque sans le savoir lorsqu’il déchire de rage la lettre qu’il voulait adresser au père Noël.

Monstres à domicile

Krampus

Difficile de savoir quand est né le mythe du Krampus, mais il est clair que le film de Michael Dougherty, vu le soin maniaque apporté à son imagerie, a remis illico cette figure du folklore européen au centre de l’attention. Il n’y a qu’à voir le nombre de séries B ou Z sorties au même moment pour se rendre compte que son idée a déjà fait des petits. Krampus est pourtant un projet réfléchi de longue date par le réalisateur / scénariste, qui aura attendu sept ans avant de pouvoir confirmer les espoirs placés en lui après son tonitruant film à sketches (qui lui n’a jamais eu droit à une distribution française en bonne et due forme). Le résultat s’avère moins porté sur la virtuosité du récit que sur l’exploitation d’idées visuelles inspirées et d’un ton mi-comique mi-horrifique clairement emprunté au cinéma de Joe Dante.

[quote_left] »Difficile de savoir quand est né le mythe du Krampus, mais le film a remis illico cette figure du folklore européen au centre de l’attention. »[/quote_left] Dès le logo détourné et le générique à la Zombieland transformant les « courses au jouet » en exercice de survie en milieu hostile, il est clair que nous sommes en bonne compagnie. Derrière le cynisme amusé de cette entrée de matière, qui torpille notre consumérisme tout en soulignant au marqueur l’importance dérisoire que les rituels de Noël revêtent pour notre société, Dougherty place en fait ses pions pour justifier la venue de son grand méchant encapuchonné. Le but du Krampus, sorte de double négatif du père Noël qui vient « non pas pour donner, mais pour prendre », est en fait de punir tous ceux qui auraient perdu foi dans les valeurs de ces fêtes païennes ancestrales : solidarité, fraternité, liens familiaux ressoudés. Or, la famille du jeune héros de l’histoire, Max (Emjay Anthony, Chef), ne répond plus en rien à ces valeurs, pour des raisons résumables en un point : l’abrutissement généralisé de ses compatriotes. Ça n’est pas un hasard si la longue phase d’exposition des personnages, précédant l’arrivée du Krampus et de ses minions, est si soignée. Moins obsédé par le Gremlins de Joe Dante que ce que l’on pourrait penser, Dougherty nous parle en fait d’une époque très actuelle, en renvoyant efficacement dos à dos les deux pôles moraux de la société américaine. D’un côté Max, ses parents (Adam Scott et Toni Collette) et sa sœur, caricatures de gentils bourgeois certes ouverts d’esprits, mais obsédés par les apparences, et de l’autre, sa tante Linda (Allison Tolman, Fargo) et ses imbuvables marmots, initiés aux armes aux feu, au football et à la xénophobie par leur père, Howard (David Koechner, Cheap Thrills). Les démocrates contre les républicains, donc, confrontés à l’irruption du fantastique sous la forme la plus vindicative qui soit.

Le conte est beau

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Tourné en partie en Nouvelle-Zélande, Krampus, en plus d’être un conte moral se concluant de la manière la plus nihiliste possible (enfin, tout dépend de la façon vous interprétez le dernier plan), marque des points en étant l’un des plus beaux films fantastiques de récente mémoire. La batterie de sales monstres créés par Weta Digital / Workshop, aussi surréaliste que repoussante – des jouets en apparence innocents qui cachent des gueules hideuses et gluantes – prend son temps pour passer à l’attaque, dans une maison transformée en dernier refuge au cœur d’une blizzard inquiétant. Passée la première apparition du Krampus (scène incroyable, qui conserve intacte pour le troisième acte la révélation de son physique), le film accuse quelques petits coups de mou, heureusement rattrapés par un joli flash-back animé plein d’ombres portées – qui fait penser à celui, moins heureux visuellement, qui ouvrait Hellboy II.

Mais dès que les pains d’épices psychopathes ou les chenilles gloutonnes passent à l’action, Krampus s’embarque dans un vrai petit tour de montagnes russes frissonnantes, artisanal et infantile, d’une facture qu’on pensait disparue depuis les années 80. Une grande partie des créatures sont animées à l’ancienne, avec des marionnettistes et des animatroniques, de sorte que le numérique est réduit à l’essentiel. C’est une note d’intention en soi, et ça marche du tonnerre à l’écran. Derrière son récit balisé et ses concessions évidentes en terme d’horreur graphique (nous sommes dans du PG-13 des familles, et ça se sent), Krampus cache un grand film d’ambiance, qui aurait été bien plus apprécié chez nous si Universal Pictures l’avait distribué en décembre, et pas six mois trop tard dans une dérisoire poignée de salles.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq

Krampus
De Michael Dougherty
2015 / USA / 98 minutes
Avec Adam Scott, Toni Collette, David Koechner
Sortie le 4 mai 2016
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