La séance de rattrapage : Love Hunters
Plongée dans l’intimité d’un couple de serial-killers australiens, Love Hunters est un long-métrage aussi maîtrisé qu’inconfortable. Ames sensibles, s’abstenir !
Parce que l’horrible réalité sert souvent à stimuler l’imagination des artistes, les fictions tournant autour d’un couple de tueurs en série n’ont rien de nouveau au cinéma. Des Tueurs de la Lune de miel à Tueurs-nés, les exemples de virées meurtrières où l’amour obsessionnel se mêle à une forme d’auto-destruction mutuelle ne manquent pas. Venu d’Australie, et repéré aux festivals de Beaune et Hallucinations Collectives, Love Hunters apporte un regard moins putassier que psychologique sur ce type de personnages, en les enracinant dans une réalité tangible. De fait, même s’il laisse les passages les plus horribles de son histoire à notre imagination, Love Hunters est un long-métrage particulièrement remuant et stressant, porté par un jeune réalisateur qui prend bien garde de ne jamais se laisser aller au voyeurisme.
Amour, crimes et kidnapping
Pour son premier long-métrage, Ben Young nous ramène au mi-temps des années 80, une époque plus « relâchée » où l’on pouvait encore courir le risque de faire confiance à un inconnu proposant un peu d’herbe au coeur de la nuit. Ce risque, c’est la jeune Vicki (Ashleigh Cummings) qui le prend, en faisant le mur un soir de chez sa mère pour aller voir des amis. Mal lui en prend : elle devient la proie de John (Stephen Curry) et Evelyn (Emma Booth), un couple de prédateurs dont la sordide spécialité est de kidnapper, violer et tuer des jeunes filles, à l’abri dans leur maison de banlieue. Prise au piège et enchaînée à un lit à la merci de ses ravisseurs, Vicki va devoir compter sur les dissensions qui apparaissent au sein du couple pour survivre. Il apparaît clairement qu’Evelyn, bien qu’absolument complice des actes de son mari, est aussi une femme brisée et dominée, à la merci d’un pervers narcissique qui la tient sous sa coupe depuis son adolescence…
« Le réalisateur introduit une distance esthétique qui ne quittera jamais vraiment un film parfaitement structuré et composé. »
Si les Australiens ont vite noté les similarités entre le couple de Love Hunters et une véritable affaire de meurtres en série qui ont secoué le pays dans les années 80, le film de Ben Young n’est en rien la reconstitution d’un fait divers réel. Dès son premier plan, travelling extrêmement ralenti sur une partie de basket entre filles qui nous met dans une position inconfortable (nous sommes les voyeurs, et nous regardons en fait la même chose que John et Evelyn, à l’affût dans leur voiture), le réalisateur introduit une distance esthétique qui ne quittera jamais vraiment un film parfaitement structuré et composé. Une approche pleine d’assurance, assez impressionnante pour un long-métrage tourné en seulement 20 jours dans sa ville natale de Perth, avec dans les rôles principaux un acteur comique et un top model dans des contre-emplois radicaux. Malgré quelques afféteries stylistiques marquantes (une vue aérienne de la forêt dans laquelle John enterre ses victimes, une séquence elle aussi ralentit observant avec cynisme le voisinage paisible du couple), Love Hunters nous enferme pour l’essentiel pendant deux heures dans une maison dépouillée peuplée par trois personnages au bord de l’abîme. Un huis-clos ténébreux troué de part en part par les rayons de soleil écrasants de l’Australie-Occidentale. Des échappatoires possibles pour Vicki, et un monde que fuient désespérément ses ravisseurs, dont la perversité est le résultat d’une accumulation extrême de frustration et de violences ataviques.
Le Mal dans les yeux
Love Hunters nous pousse de prime abord à nous identifier à Vicki, jeune fille en détresse confrontée à l’inimaginable, et qui utilise toutes ses ressources pour surmonter cette épreuve et en sortir vivante. Le scénario présente intelligemment quelques pistes (ses parents sont séparés, elle s’est éloignée de sa mère, son copain est un gentil dealer) qui s’avèreront cruciales pour la suite, avant que le point de vue ne bascule, irrémédiablement du côté d’Evelyn et John. En jouant sur l’ellipse, le hors-champ, l’allusion, la mise en scène permet par pointillés de comprendre l’étendue du désordre psychologique de ces amants tordus, à la fois pathétiques et effrayants. Tout comme Henry, portrait d’un serial-killer, Love Hunters regarde cette monstruosité teintée de médiocrité droit dans les yeux. Le côté banal du Mal qui sévit à l’ombre d’une banlieue solaire a quelque chose de familier en Australie : Les Crimes de Snowtown ou Animal Kingdom rappellent que le pays, sauvage et désertique, reste un terreau fertile pour travailler ce genre d’angoisses modernes, où les sourires du voisin peuvent être une façade pour masquer d’horribles instincts.
Il est d’autant plus notable, dans ce cadre inconfortable et fort d’un suspense qui pourra devenir pour certains insoutenable (le réalisateur utilise le temps d’une scène le même artifice que Jonathan Demme dans Le silence des agneaux, avec un résultat frisant la crise cardiaque), de voir que jamais Ben Young ne perd ces personnages de vue. Grâce à des prestations électrisantes et riches de subtilité, en particulier d’Emma Booth qui se hisse au niveau d’une Charlize Theron dans Monster, le cinéaste cherche, et parvient, à trouver une logique au comportement de ses bourreaux. L’un trouve une raison d’exister dans la domination totale du « sexe faible », l’autre dans la recherche futile d’une forme d’amour fusionnel. C’est toute la force, et la réussite de Love Hunters de trouver, en fouillant l’intimité putride de deux serial-killers, une lueur d’empathie et de conscience, quitte à rationaliser ce qui devrait rester de l’ordre de la folie. Cela dit, ces qualités évidentes et l’efficacité indécente de la montée de tension orchestrée par Ben Young n’enlèveront rien au fait que le film n’est pas du genre de ceux dont on aimera recroiser le chemin
Ca donne envie tout ça.
Même s’il est un peu criminel d’éventer un effet de surprise en citant Jonathan Demme et le silence des agneaux. 😉
Par contre le film n’est pas dispo sur Netflix, et dispose visiblement d’une sortie salle le 12 juillet. Il a dû y avoir une petite erreur dans la fiche technique en bas. 🙂
Oups, alerte au copier-coller malheureux ! Le film sort bien le 12 juillet et sur grand écran, et non sur Netflix. C’est corrigé ! 😉