Serenity : twist fatal en haute mer
Dans Serenity, Matthew McConaughey et Anne Hataway sont deux amants échoués au cœur d’un néo-noir maritime au twist final aussi extrême que raté.
De prime abord, il était compliqué de comprendre pourquoi un projet comme Serenity avait pu couler à pic au box-office américain, au cœur d’un mois de janvier 2019 dont la seule locomotive commerciale était en gros le Glass de Night Shyamalan. Même s’il n’a plus connu un vrai succès planétaire depuis Interstellar, Matthew McConaughey reste une star incontestée, surtout s’il est associé en tête d’affiche à une Anne Hataway sortant tout juste du carton Ocean’s 8. Le film marque le retour derrière la caméra du scénariste Steven Knight (Les promesses de l’ombre, Peaky Blinders) qui avait marqué les esprits en 2014 avec le petit budget Locke, porté intégralement par Tom Hardy.
Jason et Matthew sont sur un bateau…
D’une certaine manière, Serenity est lui aussi un film concept : un néo-noir au parfum familier, où le triangle amoureux classique du genre (l’amant, la femme fatale et le mari à éliminer) s’épanouit sous le soleil écrasant et les eaux bleutées d’une île paradisiaque. Mais, et le mais est à surligner en rouge avec du sang, Serenity est aussi un film à twist. Le genre de retournement de situation totalement mal avisé qui explique à lui seul pourquoi le film a eu tôt fait de sombrer dans les abîmes.
Baker Dill (sic), qui s’exprime avec l’accent traînant et la gravité artificielle d’un McConaughey pas loin d’être sa propre caricature, est un capitaine de bateau de pêche qui aux côtés de son matelot souffre-douleur (Djimoun Hounsou) balade les touristes en mer quand il ne chasse pas un thon mythique surnommé « Justice » (ok, pourquoi pas). Entre deux étreintes charnelles avec la charmante Constance (Diane Lane), Baker, qui a laissé derrière lui son passé et sa famille, reçoit la visite de son ex-femme Karen (Anne Hataway, qui semble avoir émulé le jeu de Jessica Rabbit). Celle-ci lui demande, ô surprise, de la débarrasser de son mari violent et sadique (Jason Clarke, à 120 %) lors d’un de ses voyages en mer, pour le bien de leur fils Patrick. Ce petit manège à la Sexcrimes serait tout à fait honorable si l’île ne voyait pas aussi débarquer l’étrange Reid Miller (Jeremy Strong), un homme pressé aux allures de comptable, qui cherche à tout prix à parler à Baker de ses projets…
Suicide narratif
Avec ses éclairs de violence gratuite, ses furtives scènes de sexe scabreux, ses dialogues joyeusement caricaturaux et ses plans à répétition sur le cul nu et le torse bien conservé de sa star, Serenity a pendant une bonne heure tous les ingrédients pour devenir un petit plaisir coupable. Un Hollywood Night sans prétention sous le soleil, dont le côté un peu méta, un peu cartoonesque, ne suffirait toutefois pas à justifier la présence sur le ponton d’un parterre d’acteurs aussi prestigieux. Steven Knight réussit de fait à provoquer en nous une vraie réaction déstabilisante, en faisant déraper au détour de quelques répliques le programme attendu. Serenity, contre toute attente, se dérègle petit à petit, avant de dévoiler son jeu lors d’une rencontre nocturne révélatrice. Le petit polar solaire révèle une nouvelle dimension, qui rabat les cartes de manière brutale en prenant un virage sans retour vers la parabole complètement frappée du ciboulot.
Un suicide narratif, donc, puisque ce twist invalide toute la dramaturgie mollement mise en place auparavant, tout en se contentant d’une trop maigre explication pour justifier l’intérêt de ce tour de passe-passe – qui n’est pas inédit au cinéma, mais nommer un exemple fameux suffirait à spoiler toute l’affaire. On ne peut malgré tout nier l’attraction bizarre suscitée par la tentative de Knight de confectionner une véritable poupée russe filmique, même si le résultat devient gênant d’audace mal pensée, et rendra logiquement furieux ceux qui s’estiment – à raison – trompés sur la marchandise. Ceux et celles qui aiment s’imaginer sur une plage naturiste en compagnie de Matthew le pêcheur seront par contre aux anges.