La fusion paraissait inévitable. Depuis le succès de Cloverfield, de REC et de Paranormal Activity, le style du found footage est devenu la marotte de producteurs malins flairant l’opportunité de créer du buzz viral avec des films tournés à hauteur d’homme, qui peuvent se servir d’un réflexe d’identification typique de la génération Youtube (voir cet exemple célèbre du commentaire laissé sous un extrait de Jurassic Park : « wow, is this 4 real ? ») pour redonner un nouveau souffle à des genres codés et des effets connus. Alors que Hollywood reste plus que jamais accrochée à ses licences super-héroïques, qu’y avait-il de plus logique que de voir débarquer ce Chronicle, et ses ados se découvrant des dons de télékinésie, filmé à la première personne ?

Un grand pouvoir implique… pas mal de conneries

Andrew, Steve et Matt : trois ados pour qui le monde devient un terrain de jeu.

Derrière l’aura d’inédit générée par ce high concept aux relents de manœuvre marketing, se cache pourtant un vrai bon film, une virée SF originale et désenchantée qui, comme District 9 a été tournée sous le radar, pour un petit budget, avec un casting d’inconnus. Cette liberté de ton, le jeune réalisateur Josh Trank et son scénariste Max « oui je suis le fils de John » Landis l’ont prise à bras le corps pour raconter l’histoire d’Andrew, Steve et Matt, trois ados qui n’ont pas grand-chose en commun si ce n’est un mal-être diffus propre à l’âge ingrat, qu’ils tentent de masquer par divers artifices (Matt déclame de la philosophie comme un ordinateur détraqué, Steve joue les caricatures de quaterback, et Andrew documente sa vie le visage caché derrière une vieille caméra). Leur vie change le jour où ils sont contaminés par une sorte de kryptonite enfouie dans un trou dans la forêt. Ce deus ex machina inespéré leur donne un super-pouvoir tout aussi incroyable, qui va leur servir, pensent-ils, à deux choses essentielles : faire des blagues de potaches (qu’ils filment à la Jackass) et emballer les filles en se faisant passer pour des magiciens.

Très vite, pourtant, la face sombre de ces héros malgré eux revient à la surface, à travers ce personnage référent et metteur en scène de sa propre transformation qu’est Andrew. Fils d’un pompier devenu alcoolique et d’une mère mourante, Andrew s’entraîne à faire virevolter sa caméra dans sa chambre (un bon moyen de contourner enfin l’obstacle du personnage/caméraman invisible autrement qu’en voix off) pour tuer le temps. Il finit par comprendre, de manière presque fataliste, que ses pouvoirs vont lui servir pour prendre une revanche longtemps désirée sur sa vie. Connecté psychiquement à ses deux amis, il les entraine de facto dans sa spirale de violence, faisant ressembler Chronicle, dans son dernier acte, à une version subversive et inversée de Spider-Man à laquelle aurait été mélangé l’ADN d’Akira.

L’énergie du désespoir

Le dynamic trio ne tarde pas à semer le chaos dans tout Seattle.

C’est le propre d’un tel scénario, mis en images avec une assurance et une énergie admirables, de faire oublier ses artifices de mise en scène. Qu’importe que l’usage de la caméra par ses héros soit peu justifié (surtout sur la fin, où l’action saute d’une caméra de surveillance à des portables à vitesse grand V), ou que la rigueur morale du trio soit invraisemblable – vous seriez-vous fixés des règles si vous aviez 18 ans et le pouvoir de voler et déplacer des objets ?

La force d’évocation du parcours d’Andrew (la future star Dane De Haan et son petit air de Di Caprio période Basketball Diaries), ado qu’on devine sensible au monde qui l’entoure, mais qui navigue d’une désillusion à l’autre. Aussi violent qu’il soit, son père était auparavant un héros pour lui. Lorsque vient son moment de gloire dans son lycée, l’épanouissement sexuel tant attendu se transforme en nouvelle humiliation. Sans repères, sans espoir dans l’avenir, il finit par sombrer dans la délinquance. Sans l’apparition de pouvoirs, il aurait pu être le héros d’un drame estampillé Sundance. Plutôt qu’un spleen interminable face à la mer ou l’addiction à la drogue, la rage nihiliste de la jeunesse américaine se traduit dans Chronicle par des pluies d’éclairs ou des bus s’écrasant dans des buildings. En plus d’être pertinente, cette vision du film de super-héros s’avère parfaitement logique, et d’autant plus rafraîchissante dans un genre généralement très conservateur (1).

(1) Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que si le film avait été conçu comme une grosse production, le personnage positif et romantique de Matt serait rapidement devenu le héros de l’histoire.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Quatresurcinq
Chronicle
De Josh Trank
2011 / UK-USA / 87 minutes
Avec Dane DeHaan, Alex Russell, Michael B.Jordan
Sortie le 22 février 2011
[/styled_box]