Eli : une histoire de fantômes… ou presque
Film fantastique à l’apparence classique, Eli garde en réserve quelques surprises qui viendront compenser son manque de frissons et de nouveauté.
Les films d’horreur c’est un peu comme les comédies romantiques : à partir du moment où vous avez vu à peu près tous les classiques que peut compter le genre, il devient difficile de vous surprendre. Mais selon votre degré d’attention, cela pourrait bien vous arriver avec Eli, production Paramount vendue l’an passé à Netflix, qui a intelligemment patienté jusqu’à Halloween pour mettre en ligne son bébé. Eli permet de prendre des nouvelles d’un cinéaste irlandais, Ciaran Foy, immédiatement remarqué sur la scène internationale à la sortie de son excellent Citadel. Un film fantastique original, centré sur les angoisses maladives d’un personnage isolé du monde, et qui cherche à reprendre le contrôle de son existence. Ce postulat est également au centre d’Eli, à la différence près que le héros est cette fois un enfant, et que le scénario s’avère roublard au possible, en jouant avec nos attentes et notre connaissance du genre.
Eli (le très convaincant Charlie Shotwell, Captain Fantastic) est un jeune garçon pas comme les autres. Une maladie rare l’empêche de respirer l’air extérieur, et le condamne à vivre enfermé dans sa bulle, littéralement, dépendant de l’aide de ses parents (Kelly Reilly et Sam Martini). Ces derniers lui promettent une vie meilleure en l’emmenant dans un manoir transformé en labo dernier cri : une résidence à l’air purifié tenue par le docteur Horn (Lili Taylor, The Conjuring) qui s’est fait une spécialité de soigner les enfants comme Eli. Seul souci, le traitement infligé par l’équipe médicale est plutôt douloureux, et Eli a l’impression de ne pas être le seul patient dans la demeure. Les apparitions nocturnes se multiplient, de plus en plus menaçantes, et seule une énigmatique voisine, la jeune Haley (Sadie Hink, de Stranger Things) est prête à croire le garçon. Elle lui révèle que d’autres enfants ont suivi ce traitement, mais qu’ils ne sont jamais ressortis de la maison…
Mélange de genres sous influence
Il serait malhonnête d’affirmer que les premières minutes d’Eli regorgent d’originalité. Si la maladie isolante d’Eli, qui l’oblige à porter des tenues de cosmonaute sous peine de brûler vif à l’air libre, fournit un prétexte intéressant pour un huis-clos, l’installation de la petite famille dans le manoir-hôpital suit un cheminement on ne peut plus attendu, et ce dès l’apparition de l’habituée du genre qu’est Lili Taylor. Le production design, entre salles d’opération menaçantes, escalier central gothique et bow windows automnales, coche toutes les cases du film de fantômes traditionnel, labouré depuis La maison du diable jusqu’aux récents Blackwood ou la série Haunting of Hill House. Ciaran Foy, qui avait signé Sinister 2, a d’ailleurs travaillé avec l’un de ses producteurs, Trevor Macy, habitué aux collaborations avec Mike Flanagan. Face à l’accumulation de passages obligés (du miroir révélateur au poltergeist dans le couloir, tout y passe), le désintérêt menace, notre attention étant ponctuellement rehaussée par quelques idées de mise en scène percutantes (un perçage de crâne en vue subjective, une crise d’étouffement relayée par la caméra) et une obsession ludique pour le prénom de notre malheureux héros.
« La réussite d’Eli reposera en partie sur votre faculté à prédire son dénouement. »
Et puis, alors qu’on pensait avoir mis le doigt sur les motivations de chaque personnage, Eli débouche sur un dernier acte bien plus démonstratif et surprenant. Le révéler ici enlèverait la totalité du plaisir pris à la découverte, mais le changement soudain de braquet fonctionne là encore bien mieux si l’on ne se penche pas avec trop de sérieux sur la mythologie esquissée par Ciaran Foy, et sur les nouvelles références convoquées pour l’occasion par le réalisateur. Bon gré mal gré, le final nous pousse à revoir le film sous un nouvel œil, en sachant très bien qu’un deuxième visionnage révélerait des coutures voyantes et des manipulations grossières du spectateur pour l’induire en erreur. Le caractère même des personnages, notamment les parents aimants d’Eli, manque rétrospectivement de cohérence, la mécanique du script devenant ainsi plus importante que la crédibilité de leur comportement. La réussite d’Eli, finalement, reposera en partie sur votre faculté à prédire son dénouement. Le film pourra en surprendre plus d’un. Pas forcément dans le bon sens, mais dans ce genre saturé en productions, un peu de prise de risque ne fait jamais de mal, non ?