Les Deux Papes : crises de foi au Vatican
Parcours croisé de deux papes au carrefour de leur existence, le film de Fernando Meirelles est aussi beau et entraînant que plein d’esprit. Une vraie réussite.
De la même manière que ses deux hommes d’Église discutent allégrement de l’interprétation que l’on peut (ou doit) faire des textes sacrés, Les Deux Papes est une œuvre qui louvoie avec une malice confondante entre réalité et théâtralité. Le dernier-né du Brésilien Fernando Meirelles, consacré prodige dans les années 2000 avec La cité de Dieu et The Constant Gardener avant de disparaître un peu de nos radars, pourrait passer pour une plongée dans les coulisses inédites d’une rencontre au sommet entre deux Papes, l’un alors au pouvoir, Benoît XVI, l’autre destiné à lui succéder, François.
Des hommes et leur Dieu
Mais il n’est pas fait mystère du caractère complètement fictionnel de ce voyage à Rome, censé intervenir en 2013 avant l’annonce de la renonciation du pape allemand, et au lendemain d’un scandale que l’on surnomma les « Vatican Papers ». Une période charnière dont le dramaturge Anthony McCarten s’est inspiré pour imaginer une confrontation de personnalités et de valeurs, reflétant la crise de foi profonde des instances du Vatican. Celui qui est aussi scénariste de La merveilleuse histoire du temps et, hum, Bohemian Rhapsody (personne n’est parfait) a adapté pour Meirelles sa propre sa pièce de théâtre The Pope, et le film qui en résulte, s’il a tous les atours d’un drame de chambre cérébral, se voit transcendé par la réalisation aérienne et dynamique du cinéaste, autant que par la justesse de son duo de comédiens légendaires, Anthony Hopkins et Jonathan Pryce.
« Si Les Deux Papes fascine, c’est parce qu’il dévoile le tumulte qui agite deux figures antinomiques du catholicisme au XXIe siècle »
Si Les Deux Papes fascine d’emblée, outre par la perfection des décors reproduisant le Vatican et le palais d’été de Gandolfo (la production a été jusqu’à recréer à Cinécitta la Chapelle Sixtine, et l’illusion est parfaite), c’est parce qu’il dévoile le tumulte qui agite deux figures du catholicisme au XXIe siècle, effectivement antinomiques. L’Argentin Jorge Bergoglio (Pryce), futur pape François, est un jésuite dont l’humanisme et les volontés réformatrices se heurtent dès 2005 au conservateur Joseph Ratzinger (Hopkins), élu pape et devenu Benoît XVI. Rat de bibliothèque montré comme rigide, voire rétrograde, Ratzinger reçoit le populaire et désarmant Bergoglio au moment où celui-ci veut démissionner de son poste d’archevêque de Buenos Aires. L’Église n’est plus en phase avec son époque, déplore Bergoglio. C’est la société capitaliste qui oublie ses valeurs chrétiennes, rétorque le pape allemand. Plus que deux personnalités, ce sont deux écoles de pensée que Les Deux Papes oppose, mais Meirelles nous fait comprendre que son film ne se résumera pas à un débat d’idées entre quatre murs en marbre, mais qu’il compte explorer la psyché et la « normalité » des deux hommes, le latin Bergoglio en premier lieu, en cherchant l’humain, le faillible, caché derrière les ors du Vatican et la soutane.
Un duel plutôt déséquilibré
Et c’est, avouons-le, un régal de cinéphile de voir évoluer Hopkins et surtout Pryce, qui a rarement été meilleur (sa ressemblance avec le pape François joue également en sa faveur), dans des rôles à la mesure de leur charisme. À la manière d’un Nanni Moretti qui désacralisait dans Habemus Papam le quotidien des dirigeants d’une des plus grandes religions du monde, Les Deux Papes imaginent ses deux hommes d’Église en train de deviser sur Michel-Ange avant l’irruption des touristes, de regarder un match de football, d’évoquer les Beatles (« Un sous-marin jaune ? Peuh, mais c’est idiot ! ») ou de partager une pizza dans une antichambre intimiste. La comédie n’est jamais loin, d’autant que les deux comédiens s’investissent dans ces rôles iconiques avec un appétit de jeu vorace. Cette volonté de légèreté, associée à un montage alerte et judicieux, permet de rendre plus remarquables encore par contraste les séquences consacrées au passé de Bergoglio.
Filmés au format carré dans un noir et blanc somptueux, ces flash-backs mettant en scène un pape François jeune (joué par Juan Minujin) jouent habilement avec le mystère de sa révélation divine dans une cathédrale – l’occasion d’admirer un contre-jour intérieur terrassant -, puis de sa proximité ambiguë avec le régime de Pinochet dans les années 70, source constante de controverses depuis lors. Les Deux Papes montre par ces longues séquences, si intenses et politisées qu’elles semblent émaner d’un autre film, un homme d’Église en perpétuel questionnement, et la figure argentine en ressort sous un jour d’autant plus favorable. Un déséquilibre flagrant, comparé à un Benoît XVI au passé pourtant plus polémique encore, qui conserve une aura de mystère et de non-dits (le fameux scandale qui envoya son ex-valet en prison n’est évoqué que par bribes, par exemple) que l’on peut supposer volontaire. Les Deux Papes, par ce choix, assume d’apparaître comme une œuvre progressiste, qui se défend de juger ceux qui estiment « entendre la voix de Dieu » tout en gardant sous silence les crimes de certains « disciples », mais préfère mettre en lumière l’ouverture d’esprit de ceux qui se mettent plutôt, réellement, à l’écoute de ceux qu’ils souhaitent aider. Dommage que dans la réalité, la papauté du « réformateur » François n’ait pas été réellement à la hauteur de cette note d’intention humaniste et inclusive…