Le gang Kelly : western punk dans l’outback australien
Le plus célèbre des hors-la-loi australiens voit sa légende réécrite de manière brutale et hallucinée dans Le gang Kelly, nouveau film du réalisateur de Macbeth et Assassin’s Creed.
Cela commence avec un message sibyllin et ironique quand on connaît la suite : Le gang Kelly ne raconte que la vérité… ou pas. À ce stade, semble dire le réalisateur Justin Kurzel, peu importe. Il filmera sa version à lui du mythe. Revenu sur ses terres australiennes après l’expérience, disons regrettable, d’Assassin’s Creed, le cinéaste révélé par Les crimes de Snowtown et Macbeth a voulu s’attaquer à l’une des figures clés de la courte Histoire de l’Australie.
Ned Kelly, incarné au fil des décennies par, entre autres, Mick Jagger et Heath Ledger, était un bandit de grand chemin du XIXe siècle, enfant d’une nation de bagnards sans nom, symbole de la rébellion d’une caste méprisée (les prisonniers amenés sur le continent par les colons anglais étaient très souvent des Irlandais) au même titre que les Aborigènes dépossédés de leurs terres. Un hors-la-loi contemporain de Billy le Kid, pendu à 25 ans, dont les « faits d’armes » font partie intégrante du folklore : en d’autres termes, un terreau idéal pour expérimenter à loisir sur le genre du néo-western austral. Et Kurzel, sur ce plan-là, a visiblement eu les coudées franches.
Fiévreuse masculinité
De gang, il en est peu question dans Le gang Kelly : le film, qui prend un malin plaisir à déjouer les attentes d’un public en quête de dépaysement romanesque et d’action (en cela, c’est l’exact contre-pied d’une production comme Ned Kelly avec Heath Ledger), est avant tout l’itinéraire d’un enfant pas très gâté, scindé en deux parties. Kurzel, avec le concours de sa chef op’ Ari Wegner (In Fabric, Lady Macbeth), plante le décor de l’enfance au beau milieu d’un outback décharné, où la masure familiale a des airs de radeau échoué sur une mer de sable, au milieu d’arbres morts. Une vision abstraite, à vif, qui justifie la sensibilité à fleur de peau de ses personnages.
« Le gang Kelly est ainsi un film difficile à aimer, parce que peuplé de personnages haïssables ou dont la bêtise afflige. »
La mère de Ned (formidable Essie « The Badabook » Davis) est dépeinte comme un personnage quasi-mythologique, un maelstrom de passions contrariées qui enjoint Ned à « devenir un homme », quitte à ressembler à ceux qui lui tournent autour, de son mari déchu à l’officier de police corrompu joué par Charlie Hunnham, ou le mystérieux « aventurier » personnifié par Russell Crowe. Les deux stars, manifestement ravies d’incarner des figures aussi négatives et dantesques, s’en donnent à cœur joie, tout comme Nicolas Hoult (Mad Max Fury Road), qui apparaît plus tard dans la version adulte en militaire décadent soulignant l’ambigüité sexuelle de ce macrocosme viriliste jusqu’à l’outrance.
Un film difficile à aimer
Face à ces personnages, qui sont autant de possibles mentors défaillants et de visions d’un individualisme patriarcal se résumant à appliquer la loi du plus fort, Ned (incarné à l’âge adulte par un George Mackay habité) se construit par opposition, obsédé par un esprit confus de revanche pour la perte de son père. Les choix musicaux anachroniques, l’outrance vestimentaire, la violence des surcadrages et des affèteries expérimentales (dont une fusillade en mode stroboscopique) ne laissent aucun doute sur le parti-pris de Kurzel : il s’agit de faire de la légende de Kelly un tract punkoïde et nihiliste, un trip immersif souvent agaçant par ses poses arty, mais où l’inéluctabilité des événements (le sort de Kelly et ses « boys » est pour ainsi dire scellé dès la première – et inutile – tuerie) jette sur cette odyssée mortifère un voile de fatalisme parfois saisissant. Le gang Kelly est ainsi un film difficile à aimer, parce que peuplé de personnages haïssables ou dont la bêtise afflige, parce que montrant aussi comment un personnage singulier, qui se construit à la marge dans un no man’s land littéral, est écrasé sous les hourras d’une république dominatrice et puritaine (pourquoi sinon le gang se travestirait-il, outrage suprême, en femmes ?). Visuellement somptueux, un poil autosatisfait et sentencieux, c’est une œuvre qui a ses mérites, si l’on aime les néo-westerns qui sortent radicalement des sentiers battus.