Mulan : un coup d’épée dans l’eau ?
Enseveli sous les polémiques liées à sa distribution, ses lieux de tournage ou ses acteurs, Mulan est un remake aux allures de film maudit pour Disney. Mérite-t-il cet opprobre général ?
Tout comme Tenet, Mulan est l’un des films américains dont on aura le plus parlé en 2020. Des torrents d’articles se sont déversés depuis un an sur Internet pour relater d’abord les reports successifs de la sortie du film (initialement prévue en mars) suite à la pandémie, puis pour le présenter comme l’un des étendards de la « trêve » sanitaire estivale. Disney devait être, avec Christopher Nolan, le sauveur des multiplexes. Mais Disney n’a aucune envie de jouer les héros, à part auprès de ses actionnaires. La firme a tout simplement décidé de jeter en pâture sa superproduction américano-asiatique, remake non-musical du succès animé de 1999, à sa plateforme maison Disney+. On a alors beaucoup glosé sur le prix absurde de lancement du film outre-Atlantique (30 dollars la location !) et sur la date, décalée sans raison valable, de sortie en France début décembre, causant la colère de pas mal d’exploitants dont l’un adepte de la démolition de panneaux publicitaires.
Polémiques à gogo
Et ça, c’était juste pour le côté business. Étendard involontaire d’une industrie du divertissement secouée par le Covid et prête à investir tous ses deniers dans le streaming, Mulan est aussi devenu une cible à abattre pour le public chinois et les associations humanitaires. Tourné (en partie seulement, mais quand même) dans une province de Chine connue pour « abriter » des camps de travail où sont emprisonnés des milliers de Ouïghours, le film se permet de remercier dans son générique de fin les autorités régionales, en charge de ces camps, pour leur collaboration. Mickey et camps d’internement dans la même phrase : autant dire que ça le fait moyen niveau relations publiques. Ajoutez à ça le tweet incendiaire de l’actrice principale Liu Yifei, qui a publiquement soutenu l’action violente de son pays contre les mouvements protestataires de la péninsule de Hong-Kong, et vous obtiendrez le cocktail d’un bon gros échec politique, diplomatique et public (Mulan a été un bide en Chine), même s’il se murmure que les chiffres de visionnage restent excellents aux USA.
« Se battre pour son pays, son empereur et sa famille : une morale qui doit sûrement plaire au Parti communiste chinois et au maréchal Pétain. »
Il en faudra plus pour abattre Disney, mais cela suffirait peut-être pour conspuer d’office le long-métrage de la néo-zélandaise Niki Caro, réalisatrice de L’affaire Josey Aimes et La femme du gardien de zoo. Mulan a pourtant des arguments en sa faveur : contrairement au Roi Lion ou à La belle et la bête, pour ne citer qu’eux, ce n’est pas un fac-similé du film d’animation qui l’a précédé, mais une nouvelle adaptation de la légende de Hua Mulan, guerrière fictive transgressant son statut de femme au foyer pour rejoindre à la place de son père les champs de bataille. Moins fantaisiste, dénué d’animaux parlants (mais pas de créatures numériques, tels ce hideux phénix), plus porté sur l’ambiance de wu xia pian et les panoramas époustouflants augmentés par ordinateur, Mulan est un film d’aventure sérieux et ambitieux. Trop sérieux, peut-être, et pas assez libre de ses mouvements pour être à la hauteur de ses ambitions, sûrement.
Une aventure simpliste, mais dépaysante
L’histoire de Mulan (Liu Yifei, donc, pas assez androgyne pour être crédible en faux garçon, mais plutôt convaincante dans l’ensemble) est de fait d’une simplicité enfantine, et ce dès les premières séquences, de loin les plus catastrophiques du film. Voyez-vous, dans Mulan, l’adresse au combat et le courage ne s’apprennent pas en s’entraînant, mais en cultivant et en emmagasinant du « chi » en soi. Le « chi », en gros, c’est la Force, en version asiatique médiévale, et Mulan, présentée comme une sorte d’élue surdouée (elle tire des flèches avec ses pieds, bon sang), a comme seul dilemme notable d’avoir à cacher sa « force » pour éviter de se faire remarquer. Un enjeu faiblard qui fait de Mulan non pas une outsider s’affirmant envers et contre toutes les traditions, mais une super-héroïne en devenir cherchant à prouver sa valeur et à choisir le bon camp – une nemesis incarnée par la divine Gong Li se chargera de lui montrer à quoi mène le côté obscur. Nous sommes donc loin du récit d’émancipation disneyien attendu, Mulan étant surtout avide d’échanger un destin prévu d’avance (être une épouse modèle en servant bien le thé) contre un autre tout aussi préconçu (se battre pour son pays, son empereur et sa famille : une morale qui doit sûrement plaire au Parti communiste chinois et au maréchal Pétain).
Pour faire oublier ce cahier des charges aussi encombrant qu’indigeste, ainsi qu’un montage globalement aux fraises, empêchant pas mal de séquences de prendre leur envol, on se consolera avec un exotisme visuel de bon aloi (on nage dans les clichés sur la Chine, mais il faut admettre que le film a une certaine classe), un casting en forme d’hommage direct au genre (Jet Li, Donnie Yen et même Jason Scott Lee en envahisseur mongol patibulaire), malheureusement handicapé par le choix de tourner en anglais, et une mince poignée d’affrontements aériens où la magie le dispute à l’improbable, comme dans tout wu xia qui se respecte. Pas de quoi toutefois crier au film maudit…