Paradise Hills : rébellion rose bonbon
Film dystopique sur l’oppression des femmes, Paradise Hills digère de multiples influences esthétiques pour charmer l’œil et l’esprit, avec un résultat intrigant.
Découvert lors de l’édition 2019 de l’Étrange Festival, Paradise Hills marque le passage au long-métrage de l’Espagnole Alice Waddington, à qui l’on devait le court Disco Inferno. Un baptême du feu coscénarisé avec l’aide du prolifique Nacho Vigalondo (Colossal, Open Windows), qui démontre d’ores et déjà les qualités d’esthète évidentes de la cinéaste, ancienne photographe et costumière passée par l’école de la pub et du luxe. Car ce n’est pas tous les jours que l’on plonge dans un monde futuriste où s’entrechoquent les univers de Lewis Carroll, du manga fleur bleue, de Gaudi, Michael Escher, du Prisonnier, La Servante écarlate et de Guillermo Del Toro, entre autres. À la fois conte allégorique et dystopie pour ados, film de pensionnat et fantaisie hyperbolique, Paradise Hills intrigue et détonne à défaut d’être entièrement maîtrisé, à l’image de l’île mystérieuse où se déroule l’action.
Une cage dorée et psychédélique
La référence à la fameuse série télé exotique du même nom n’est pas innocente : quand la jeune Uma (Emma Roberts et ses grands yeux inquiets) se réveille dans une chambre au luxe virginal, servie par deux éphèbes soumis, elle panique et tente de s’enfuir avant de s’apercevoir que l’île n’a, logiquement, aucune issue. L’endroit en question est une sorte de centre de repos et de conditionnement pour femmes, un institut où sont envoyées des filles de bonnes familles, soucieuses de « perfectionner » des rejetons qu’ils jugent un peu trop rebelles. Uma refuse dans son cas d’épouser le sociopathe qui a ruiné ses parents. Chloe (Danielle McDonald, Skin) est trop ronde au goût de ses géniteurs, Yu (Awkwafina, Ocean’s 8) trop étrange et renfermée sur sa musique, Amama (Eiza Gonzalez, Baby Driver) enfin, est une star de la pop aux prises avec l’alcool. Coincés dans un décor floral d’Éden paradisiaque, d’une luxuriance absolument délirante et à l’architecture toute en arches écrasantes et chambres new age, les jeunes filles ne tardent pas à faire alliance pour contester l’autorité de la maîtresse des lieux, la Duchesse (Milla Jovovich, qui se régale de chacune de ses lignes de dialogue), même si Amama semble en savoir plus qu’elle ne le dit sur les secrets que cache le lieu…
« Paradise Hills ne perd pas de temps pour installer une ambiance ultra-kitsch prenant à rebours les tendances guerrières habituelles du genre « young adult ». »
Impossible de nier l’ambition de Paradise Hills, qui ne perd pas de temps pour installer une ambiance néo-futuriste et ultra-kitsch prenant à rebours les tendances guerrières habituelles du genre « young adult ». La première demi-heure baigne dans une atmosphère façon Uma au pays des merveilles, avec sa succession de décors regorgeant de détails splendides, dont l’improbable cohérence interne fascine presque plus que les personnages qui l’habitent. Si ce n’était pour ces paysages acidulés à l’inquiétante perfection, évoquant un labyrinthe végétal à apaisement de façade, Paradise Hills serait bien conventionnel. Prototype de jeune femme émancipée dont on sait d’emblée qu’elle trouvera le moyen de sortir du carcan masculiniste qu’on tente de lui imposer, Uma a un parcours moins passionnant que celui des partenaires qui l’entourent. Chacune a ses fragilités, ses fêlures, exploitées par une organisation faussement féminisée (tous les employés de la Duchesse sont des hommes-gardiens, matérialisation de l’ordre encadrant cette luxueuse oasis de pseudo-liberté). Chacune incarne aussi à sa manière une vision très contemporaine de la femme opprimée, pour ses choix de vie, de partenaire ou d’intégration sociale (le mariage est ici vu comme la cage dorée ultime). Les voir contester les choix qu’on leur impose a donc quelque chose d’immédiatement réjouissant : ce n’est pas un hasard si leurs costumes sont des robes à corset au look d’armure immaculée.
Retour aux conventions
Autant dire que le message féministe de Paradise Hills, niché dans une grandiloquence volontairement factice – saviez-vous que la thérapie suivie par les patientes consistait notamment à chevaucher une licorne mécanique en subissant une avalanche d’images mielleuses stroboscopiques ? – ne passe pas inaperçu et ne fait pas dans la subtilité. Le scénario, avec ses dialogues pointant à chaque occasion l’évidence, reste prévisible et balisé au possible, les traîtrises diverses et flash-forwards à double fond devant s’enchaîner pour compenser une histoire dont les mystères s’étiolent rapidement. À ce titre, le dernier acte de Paradise Hills, qui abandonne l’overdose de couleurs pastel des débuts pour s’aventurer dans les ténèbres, tout en multipliant les révélations et confrontations « finales », s’avère particulièrement conventionnel par rapport ce qui précède. Pas de quoi faire perdre tout son charme à cette curieuse série B, mais on ne peut s’empêcher d’Alice Waddington une suite de carrière plus audacieuse encore.