Palm Springs : entrez dans la boucle !
Clignant de l’œil à Un jour sans fin, Palm Springs redynamise le concept de boucle temporelle dans une comédie étonnante au scénario brillant.
Concept scénaristique malléable à l’envie, la boucle temporelle se multiplie au cinéma depuis une trentaine d’années et la sortie d’un film novateur et intemporel nommé Un jour sans fin. Le chef d’œuvre (osons le mot) de Harold Ramis n’était pas le premier à utiliser cette idée, mais il fut et reste sans doute le plus marquant et célèbre – ne serait-ce que par son titre VF qui synthétise tout le savoureux double sens de ce concept. La boucle temporelle a été adossée à de nombreux genres (fantastique, action, horreur, polar…) au fil des décennies, mais rares sont ceux qui, comme Palm Springs, ont osé se mesurer directement au maître en choisissant celui de la comédie romantique. Car le premier long-métrage de Max Barbakow, acheté à prix d’or par Hulu en 2020, raconte bel et bien le même type d’histoire : celle d’un type coincé dans une journée qui se répète à l’infini, mais finit par y rencontrer, et à séduire, la femme de sa vie. Ces similarités évidentes restent un leurre, tant le film fourmille d’idées et de variations sur le même thème, tout en cultivant le même mauvais esprit mêlé d’innocence et d’optimisme indécrottable.
Blasés pour la vie
Là où Un jour sans fin coinçait Bill Murray dans une boucle de 24h hivernale, Palm Springs se déroule lui sous le soleil de plomb d’un coin de Californie désertique. Dans une superbe villa avec piscine se prépare un mariage tout ce qu’il y a de plus classique (et ennuyeux), dans lequel détonne Nyles (Andy Samberg, également coproducteur avec ses potes de The Lonely Island), en short et chemise hawaïenne, sirotant bière sur bière en arborant l’air le plus blasé du monde. Petit ami d’une des demoiselles d’honneur (qui le trompe éhontément), Nyles ressemble à un intrus et se fait remarquer par Sarah (Cristin Millioti, How I met your mother), la sœur de la mariée, qui semble elle aussi vouloir se tirer à mille kilomètres d’ici. Le duo de misanthropes flirte et quitte les lieux pour aller dans le désert, jusqu’à ce qu’un invité surprise fasse irruption et force Sarah à découvrir, à son corps défendant, le secret de Nyles…
« Palm Springs parvient dès ses premières minutes à faire mentir l’impression de déjà-vu qui pourrait lui causer du tort. »
Au-delà de la réjouissante mise en abyme de ce postulat (Nyles a vécu mille fois la même journée, tout en ayant à l’esprit lui aussi les leçons que le héros d’Un jour sans fin a pu en tirer), Palm Springs parvient dès ses premières minutes à faire mentir l’impression de déjà-vu qui pourrait lui causer du tort. Premier scénario d’Andy Saria, couché sur le papier des années avant que le confinement donne au film des allures supplémentaires de métaphore existentielle à ciel ouvert, Palm Springs se distingue déjà par l’idée d’enfermer non pas un, mais deux (voire trois, comme le révélera un flash-back introduisant le personnage truculent de J.K. Simmons) personnages dans un bug temporel, le premier étant déjà passé par tous les stades du désespoir, de la folie et du lâcher-prise imaginables. Ouvrant tous les matins les yeux à côté d’une idiote qu’il déteste, Nyles a découvert les joies de l’irresponsabilité, où l’on fait l’idiot pour tromper l’ennui (ça vous rappelle quelque chose ?). Qu’il soit rejoint par une femme découvrant quant à elle avec horreur les limites de sa prison quantique, fournit au film un carburant drolatique et une énergie inépuisables.
Romance et répétitions
Palm Springs passerait presque par moments pour une ode à la dépression, la boucle temporelle devenant le symbole de la futilité de la vie de Nyles et Sarah, âmes en peine qui deviennent l’un pour l’autre une bouée de sauvetage. Débarrassé de toute forme d’espoir en l’avenir, le duo peut agir sans peur des conséquences (même si Nyles tient à garder une morale en ne blessant pas les innocents) pour voler un avion ou apprendre des chorégraphies idiotes, mais même cette forme de liberté dénichée dans une vie sans but ne peut durer qu’un temps. Il en faut aussi, du temps, pour prendre conscience qu’Andy Samberg, incarnation même de l’humour régressif, peut devenir aux côtés d’une Cristin Millioti avec laquelle l’alchimie est palpable, une figure romantique, dont les blagues de post-ado bravache cachent une peur panique de l’engagement. Sortir de la boucle, c’est accepter l’imprévisible, c’est affronter la vie, c’est faire face à l’inconnu, alors pourquoi essayer, comme le veut Sarah ? Cette nouvelle dynamique, au cœur d’un dernier acte peut-être trop explicatif, moins aérien, en tout cas moins potache, rajoute une couche inattendue de réflexion à un film qui n’arrête pas de surprendre, tout en étant toujours d’une totale cohérence. Une comédie parfaitement équilibrée donc, et involontairement visionnaire, soutenue qui plus est par une BO pétaradante.