I care a lot : Ehpad pitié !

par | 15 mars 2021 | À LA UNE, Critiques, NETFLIX

I care a lot : Ehpad pitié !

Rosamund Pike est l’attraction principale d’I care a lot, qui préfère suivre la voie du thriller sous influences que celle de la satire sociale.

Ce qu’il y a d’effrayant, et d’excitant aussi pour les raconteurs d’histoires, avec le fonctionnement de la justice américaine, c’est qu’elle peut fournir le carburant aux scénarios les plus fous en s’appuyant simplement sur la réalité. Il serait rassurant de penser que I care a lot, judicieusement acheté par Netflix (et également Amazon Prime Video pour certains territoires) au festival de Toronto, exagère un peu et distord les faits, mais le postulat de départ du troisième long-métrage de J. Blakeson – après le moyen Alice Creed et le très mauvais La 5e vague -, n’a rien de farfelu.

Capitalisme et vieilles dentelles

I care a lot : Ehpad pitié !

Marla (Rosamund Pike) est une tutrice professionnelle à qui la justice confie des personnes âgées que les tribunaux jugent incapables d’être autonomes. Un système d’accompagnement qui fait sens et paraît nécessaire. Sauf que, les USA étant les USA, la mise sous tutelle des seniors, surtout les plus riches, est devenu un commerce où s’enrichissent, sous couvert de la loi, les prédateurs les moins scrupuleux. Et Marla, comme le laissent supposer ses tailleurs stricts, son sourire ultra-bright tendu, sa coupe blonde millimétrée et la manière un peu trop ostentatoire dont elle vapote, est sans doute la plus vicieuse d’entre eux. Avec l’aide de sa partenaire – dans tous les sens du terme – Fran (Eiza Gonzalez, Baby Driver) et d’un système qu’elle s’est mise dans sa poche, des tribunaux aux Ehpad, Marla arnaque ses vieilles proies pour devenir toujours plus riche sur leur dos, affichant littéralement tableau de chasse de victimes dépossédées de leurs biens après avoir été envoyées dans des résidences complices.

« Rosamund Pike est mise en valeur comme le plus étincelant requin de la bande. »

Scandaleux ? Mais oui, bien sûr. Le spectateur découvrant les stratagèmes aussi odieux que bien rôdés de Marla et sa clique ne pourra que détester cette « héroïne » aux allures de vautour en talons hauts et hurler contre les dérives d’une société qui a pu la laisser prospérer. C’est tout l’objectif de Blakeson que de montrer l’inhumanité d’un système qui fait naître ce genre d’injustices criantes, ce trou noir légal dont profitent des rapaces aux motivations ultra-matérialistes. Il y a là matière à une satire enlevée, un conte moral qui nous force à prendre fait et cause pour un protagoniste abject qui va devoir affronter les conséquences de ses actes – ce tournant est pris quand Marla et Fran s’en prennent à la pas si vénérable Madame Peterson (Dianne West, exquise) dont les liens avec un mafieux excentrique (Peter Dinklage, avec un nouveau look encore une fois mémorable) vont les plonger dans un océan d’emmerdes.

La plus garce d’entre tous

I care a lot : Ehpad pitié !

Sauf que ? Sauf que I care a lot, au contraire par exemple d’un Thank you for smoking, n’a pas pour vocation à questionner notre époque. L’objectif secret de Blakeson est en fait de livrer un divertissement incorrect, aux influences portées en étendard (il n’est pas rare de penser à la série Fargo et au cinéma des frères Coen, entre autres), qui prend, de manière évidente, un malin plaisir à faire de Marla un épitome de la garce increvable et pleine de ressources. Dans un film où tous les personnages, qu’ils soient avocats, médecins, mafieux ou grand-mère sans histoire, s’avèrent méprisables, Rosamund Pike est mise en valeur comme le plus étincelant requin de la bande, un bulldozer dont la résilience, au-delà de son absence revendiquée de morale, force le respect. Et on finit par se détester, et par détester un peu le film, à force de prendre fait et cause pour elle, alors que les rebondissements, de plus en plus sérialesques et invraisemblables, s’empilent une scène après l’autre.

Pas étonnant que l’actrice hitchcockienne, revenue une première fois sur le devant de la scène avec le bancal A private war, ait décroché un Golden Globe pour ce rôle qui nous rappelle au bon souvenir de Gone Girl. Mêmes relents de sociopathie masquée derrière un féminisme opportuniste, même froideur calculatrice ne laissant aucune place au doute, même façon de mener la vie dure à des mâles un peu trop sûrs de leur pouvoir d’intimidation… La comédienne offre un festival face à un parterre de voleurs de scènes expérimentés, et constitue la force motrice principale d’un thriller parfaitement amoral, certes, mais qui parvient sur le fil à ne pas être aussi cynique que ses personnages.