L’homme qui tua Hitler et le Bigfoot : le crépuscule du héros
Ce titre utra bis cache une attachante méditation sur l’héroïsme, personnifié par Sam Elliott et sa moustache.
Il suffit parfois d’un titre un peu plus fou que la moyenne pour se distinguer de la masse. Dites-le donc à haute voix : L’homme qui tua Hitler et le Bigfoot. Si délicieusement idiot, si farfelu et génial dans son assemblage d’uchronie guerrière (a priori, personne n’a tué Hitler) et de fantaisie mythologique (le Bigfoot a beau être un Yéti des forêts, son nom n’a jamais inspiré la terreur). Un titre qui hurle une promesse de bisserie sans nom et qui pourtant constitue un chausse-trappe de premier ordre puisque le second degré n’aura que très peu de sa place dans cet inclassable long-métrage signé par l’inconnu Robert D. Krzykowski. Un film resté inédit pendant trois ans avant d’être balancé en VOD puis sur Prime Video – et à la limite, on comprend pourquoi, tant le méli-mélo de genres et le sérieux imperturbable de l’ensemble le rendent difficile à vendre au grand public.
D’un monstre à un autre
Pourtant, d’une certaine manière, L’homme qui tua Hitler et le Bigfoot répond bien aux promesses de son titre. L’histoire est bien celle de Calvin Barr, soldat d’élite de l’armée américaine à qui l’on confia, dès les premières années de la Seconde Guerre Mondiale, la mission d’assassiner Adolf Hitler. Un « exploit » nécessitant des gadgets dignes de Mission : Impossible, raconté dans un tonitruant flash-back en plusieurs parties plus avare en dialogues qu’un Inglorious Basterds. Le scénario avance l’idée qu’une fois le dictateur mort, ses idées ont suffi à elles seules à faire survivre le régime nazi, avec l’aide de deux ou trois sosies. Un demi-siècle plus tard, les hauts gradés reviennent à la porte de Calvin, devenu un paisible et moustachu septuagénaire (qui sait quand même rétamer quelques voyous façon Charles Bronson lorsque les circonstances l’exigent) pour tuer un autre monstre : le Bigfoot, primate poilu porteur d’une maladie mortelle en train de ravager la forêt canadienne. Le simple fait de voir cette scène de dîner où l’objectif de la mission est révélé, avec une évidence désarmante, à Calvin, est un indicateur de la singularité du long-métrage. Car le dernier acte sera bien consacré à cette chasse au Grospied dans des paysages majestueux, soutenu par une musique à la John Williams faramineuse et un côté mystique évident.
« Des moments à la fois anodins et déchirants montrent en creux le prix payé par Calvin pour devenir ce vétéran militaire jamais célébré. »
La construction patiente et minutieuse de L’homme qui tua Hitler et le Bigfoot est d’autant plus remarquable, dans son assemblage d’ambiances n’entretenant aucun rapport entre elles, qu’elle masque le véritable cœur du film : l’histoire d’amour que Calvin tenta de convertir en mariage heureux avant son départ pour l’Allemagne nazie, et dont l’échec tragique scella une vie de regrets, tout entier contenu dans une boîte au contenu mystérieux – superbe métaphore du poids du passé que l’on traîne, littéralement, comme un boulet émotionnel. Cette romance simple, mais retardée, faite de moments à la fois anodins et déchirants, montre en creux le prix payé par Calvin pour devenir ce vétéran militaire jamais célébré, usé d’avance par sa condition de héros presque mythologique au sens premier du terme, dur à cuire certes, mais souvent au bord des larmes. Avec son rythme à la fois alerte et nonchalant, des transitions sublimes entre présent et passé, ainsi (et surtout) que le numéro d’acteur de sa star moustachue Sam Elliott, éternel cowboy triste aux pommettes joviales, L’homme qui tua Hitler et le Bigfoot entretient avec bonheur sa singularité, transformant un postulat digne des Craignos Monsters en obsédante dissertation sur les récits d’aventures anciens et modernes.