Black Crab : ça glisse tout seul pour Noomi
Avec sa mission glacée et une Noomi Rapace toujours aussi engagée, Black Crab gagne ses galons de solide divertissement.
Il y aurait des livres à écrire sur la carrière, pourtant encore jeune, de l’actrice et productrice Noomi Rapace et sur la manière dont la star scandinave a pratiquement réussi à créer un sous-genre à elle seule (la « rapasploitation » ?). Avec son visage anguleux transcendé par des regards qui peuvent en dire tellement long, son physique en apparence si fragile, mais terriblement athlétique, sa tendance à incarner des héroïnes mises au supplice un film d’action après l’autre, la comédienne impressionne depuis la révélation Millenium même quand le film n’est pas à la hauteur de son charisme malaimable. Close, par exemple, n’aurait pas valu grand-chose si Rapace, mise au régime Jason Bourne, n’était pas de tous les plans. Avec Black Crab, l’ambition déborde pour une fois un peu du cadre. Ce film de guerre et d’anticipation signé par Adam Berg bénéficie d’une mise en route originale, d’une photo soignée et d’une ambiance de fin du monde palpable, autant d’ingrédients mis au service d’un « show Noomi » qui ne déçoit encore pas du tout.
Seuls sur la glace
Dans un futur proche, un pays similaire à la Suède est plongé dans une guerre sans fin qui en sept ans l’a transformé en champ de ruines. Des raisons et détails du conflit, le spectateur ne saura rien. Pas même l’identité de l’agresseur. Black Crab est le nom d’une opération que le gouvernement lance en dernier recours, pour transporter les échantillons d’une arme secrète vers une station de recherche militaire secrète, située sur une île au nord du pays. Pour atteindre l’endroit en plein hiver, une seule solution : traverser 185 km de mer gelée en patins à glace, sans être interceptée par les troupes ennemies. Un commando est formé auquel participent Nylund (Jakob Oftebro, Kon-Tiki) et Caroline (Noomi Rapace), une soldate civile qui survit sans but depuis qu’elle a perdu sa fille. Ce qui la motive dans cette mission-suicide, c’est la perspective de la retrouver au bout de l’aventure. Avant cela, il faudra survivre à la glace fragile, au froid et aux obstacles imprévus…
« Black Crab résonne fort avec la période actuelle marquée
par la guerre en Ukraine. »
Avec ses images d’une société occidentale plongée dans un chaos indescriptible, son état-major fébrile retranché dans des bunkers de fortune, ses paysages hivernaux accentuant la dureté d’un conflit où la pitié n’existe plus, Black Crab résonne fort avec la période actuelle marquée par la guerre en Ukraine. Le spectre de l’actualité hante involontairement un long-métrage qui n’a rien du film de commando exubérant où chaque personnage roulerait des mécaniques tout en décanillant de malheureux figurants. Dès la mission lancée, un (magnifique) plan crépusculaire isolant les six patineurs armés au milieu de l’immensité gelée signale que le groupe glisse en silence vers une fin quasi-certaine, englouti par des ténèbres indéchiffrables. Le film se montre très intelligent en n’humanisant jamais l’ennemi, même lorsqu’il avance « masqué », ce qui redouble le sentiment de danger et d’urgence qui plombe la petite troupe. D’autant que le script, adapté d’un roman à succès, s’amuse comme c’est la tradition à en faire disparaître les membres un par un, souvent pour une erreur bête. Il y a plus de tragédie que d’héroïsme certifié dans ce Black Crab qui rappelle en cela une autre histoire de barbouzes désabusés sortie sur Netflix, Triple Frontière.
Une star qui remplit sa mission
Au-delà du cadre cinégénique de la Scandinavie glacée (le film a été tourné dans la région de Kiruna), personnifiant une Nature aussi hostile que les hommes qui la peuplent, de ses décors de fin du monde (le paquebot renversé fait notamment forte impression), de ses violentes escarmouches et péripéties glaciales, Black Crab vaut évidemment, et comme attendu, pour la prestation engagée de Noomi Rapace. Devenue adepte du patin pour les besoins du tournage (elle y aurait gagné quelques chutes brutales), l’actrice se déleste de toute apparence glamour pour incarner Caroline, une femme aussi désespérée que déterminée. Même quand l’intrigue faiblit en intensité dans le troisième acte, et verse dans le dilemme simpliste pour boucler sans éclat une histoire pourtant captivante, la Rapace est là, titubante et grimaçante, débordante de présence. Un commando de fiction à elle toute seule, que l’on suivrait sans peine jusqu’aux confins du cercle polaire s’il le fallait.