La Bulle : l’humour en quarantaine

par | 5 avril 2022 | À LA UNE, Critiques, NETFLIX

La Bulle : l’humour en quarantaine
Malgré un casting sympathique et de louables intentions, La Bulle est un douloureux ratage signé Judd Apatow.

Avouons-le : la perspective de rire des deux dernières catastrophiques années que nous venons de passer n’est pas encore synonyme de moments agréables et légers. Il est normal, après tous ces confinements et ces décomptes macabres, que les artistes aient envie de s’emparer de ce matériau pour en extirper du sens, pour faire entrer ce bout de conscience partagée dans l’histoire de la fiction. Mais avons-nous déjà envie, nous, de regarder ce qui en ressort ? La réponse était vite apportée avec 8, rue de l’Humanité car même en des temps normaux, qui aurait envie de subir la nouvelle comédie de Dany Boon ? Avec La Bulle, Judd Apatow, qui entre ici dans le giron de Netflix après un King of Staten Island plutôt bien accueilli, tente lui un pas de côté. Le film se veut être une satire de Hollywood et de ses acteurs-diva, poussés au bord de la crise de nerfs en pleine pandémie de Covid à cause d’un tournage sous bulle sanitaire qui n’en finit pas. Le potentiel est là, mais le résultat ressemble contre toute attente à une catastrophe industrielle.

Une bataille d’impros perdue d’avance
La Bulle : l’humour en quarantaine

Par quoi commencer ? En premier lieu, La Bulle n’est pas drôle. C’est criminel de le dire, sachant que le film aligne au générique David Duchovny, Keegan Michael-Key, Leslie Mann, Peter Serafinowicz, Kate McKinnon ou une Karen Gillan rompue au second degré depuis les deux Jumanji. C’est via son personnage d’actrice ambitieuse fatiguée d’avance de devoir rempiler pour un 6e Cliff Beasts (la « 23e franchise la plus populaire du box-office » nous apprend le carton d’ouverture) que nous rentrons dans l’histoire : Gillan rejoint toute l’équipe en Angleterre, confinée dans un grand hôtel entre les heures de tournage, pour tourner un nouvel épisode de ce film dans le film, vague parodie des Jurassic World / Park qu’on nous dit destinée aux enfants alors même que les scènes semblent déborder de gore rougeoyant. Ce n’est pas la moindre des incohérences d’un script aux abonnés absents, qui semble avoir oublié dès le jour 1 les notions de caractérisation et de progression dramatique. Gillan, Duchovny et tous les autres se retrouvent vite coincés avec des personnages à peine dessinés, dont le comportement et les humeurs n’ont strictement aucune forme de logique d’une scène à l’autre. Leurs interactions ressemblent à un exercice de bataille d’improvisations, un exercice auquel Apatow aime souvent s’adonner mais qui fonctionne mieux avec un scénario solide et un tant soit peu soigné.

« Le spectateur assiste à un bout-à-bout de sketches sinistres sans début ni fin. »

Passé un premier quart d’heure où quelques gags nous rappelant un quotidien bien trop familier nous font esquisser un sourire, La Bulle devient d’une pénibilité sans nom. Le spectateur assiste à un bout-à-bout de sketches sinistres sans début ni fin, des gags à base de diarrhée, de pouce explosé, de fuite urinaire ou de vomi servant de soupape de décompression régressive entre deux séquences au format Tik-Tok (sérieusement), en visio avec Beck (pourquoi ?) ou parodies de Pulp Fiction. Comme le spectateur en quête d’une porte de sortie, les acteurs errent sans but ni conviction dans un film sans vie, blindé de faux raccords et de transitions abruptes, témoignant du fait que le tout a sûrement été conçu au jour le jour, et pas de manière sereine. Apatow avait sans doute en tête une sorte de comédie méta sur l’importance de faire vivre le divertissement même en temps de pandémie. Il voulait faire son propre Tropic Thunder au temps du Covid-19, en quelque sorte. Mais le résultat s’écrase loin en dessous de la réussite ciselée de Ben Stiller et paraît destiné à rejoindre les profondeurs de l’oubli aussi vite que nos innombrables et longues journées de confinement.