S’il y a bien une saga qu’on ne s’attendait pas un jour à défendre avec ferveur, c’est bien Universal Soldier. L’opus original, qui a lancé la carrière de Roland Emmerich, n’est pas un mauvais souvenir en soi : c’est avec les séquelles, officieuses puis officielles, que les choses se sont gâtées. Deux téléfilms médiocres avec cette vieille ganache de Gary Busey, en 1998 et 1999, puis une séquelle fauchée où Jean-Claude Van Damme, en pleine période « je sniffe donc je suis » faisait un bien timide retour, avaient enterré sans gloire une possible franchise pas plus bête (ni plus maligne, certes) que G.I. Joe. Puis est arrivé, dix ans plus tard, un réalisateur débutant mais plus motivé que la moyenne : John Hyams, fils du réalisateur Peter Hyams (Outland, 2010 ou encore La nuit des juges), venait de se trouver une vocation après des études artistiques infructueuses. Avec l’aide du paternel à la direction photo, Hyams emballe en 2009 un Universal Soldier : Regeneration sentant à plein nez le tournage en Europe de l’Est, mais tirant le meilleur parti de ses cascadeurs et ses stars (JCVD et Lundgren) de retour sous le treillis. Nerveux, rythmé et brutal, UniSol 3 a réussi à sa sortie un petit miracle : faire renaître un certain intérêt pour les soldats-zombies et le destin de Luc Devereaux, ce vétéran du Viêtnam transformé en machine à tuer après sa mort.

« There are monsters in the house »

John (Adkins) remonte la rivière vers le repaire du colonel Ku… de Luc Devereaux !

Rien toutefois ne préparait vraiment à ce Universal Soldier : day of reckoning, découvert sur grand écran au PIFFF (en 2D seulement, le film ayant été exploité brièvement dans sa version stéréoscopique), mais destiné avant tout au marché de la VOD – on peut noter une sortie plus de 400 écrans en Russie, pour info – et « profitant » d’un budget serré de 11 millions de dollars. Hyams et ses coscénaristes ont refait appel au casting du troisième opus, contre toute logique puisque plusieurs d’entres eux finissaient carbonisés dans Regeneration. JCVD, Lundgren, Andrei « the Bull » Arlovski et même Kristopher Van Varenberg, fiston du pain belge, repartent au combat encore une fois comme si de rien n’était. Mais, et c’est le côté ludique d’une franchise à côté de laquelle Hyams n’est pas passé, dans UniSol, personne ne meurt vraiment. Les héros de la saga sont tous déjà morts, ont déjà été ramenés à la vie, puis clonés, en gardant toujours des bribes de souvenirs, de réflexes reptiliens. De quoi causer quelques dommages psychiques, non ? C’est justement de quoi parle Day of Reckoning : le vertige identitaire, la figure du double, le libre arbitre d’un esprit dépossédé de son corps. Et oui, on parle bien toujours de Universal Soldier, ce bourrinage SF né de la plume des créateurs d’Independance Day.

Le plan-séquence inaugural de DOR, introduit par la musique atonale de Michael Krassner, qui contribue pour beaucoup à l’ambiance du film, en dit long sur les ambitions et la direction artistique que Hyams a souhaité donner à ce nouvel opus. Le héros, John (Scott Adkins, newbie de la bande qui retrouve Van Damme pour la troisième fois en trois ans) se relève la nuit pour rassurer sa petite fille, qui a entendu « des monstres dans la maison ». Il tombe sur un trio d’envahisseurs, mené par un Luc Devereaux au regard mort, qui le bat à mort et abat sa femme et sa fille devant ses yeux. Le tout en vue subjective. De quoi filer des sueurs froides à plus d’un teenager venu prendre sa dose de high kicks en double programme avec Expendables !

Les UniSols rêvent-ils de chevauchée des Walkyries ?

L’increvable Andrew (Lundgren), de retour pour motiver les troupes.

Considérons un moment l’audace dont fait preuve Hyams ici : après cette ouverture tout droit sortie d’un fiévreux cauchemar de Gaspar Noé, le réalisateur maintient intacte cette ambiance onirique, use et abuse d’effets stroboscopiques, trafique ses effets sonores, brouille les repères géographiques (on voit malgré tout que le film a été tourné en Louisiane), se gargarise d’une violence dérangeante, de sexe anti-glamour, ose quelques pointes d’humour gore… DOR se fait même lynchien lorsque John, sorti presque amnésique de l’hôpital, croise des personnes qui le reconnaissent et le craignent, voit le crâne rasé de Van Damme dans le miroir, remonte le fil d’un passé fuyant, dans ce qui s’apparente à un remake bis de Memento. Aussi étonnant que ça paraisse, une bonne heure du film est ainsi dénuée de castagnes.

Hyams a bien un cahier des charges, qu’il concasse dans un scénario fou et absurdement existentialiste : mettre en valeur sa vedette transformée en vilain émulant le colonel Kurtz d’Apocalypse Now (aussi incroyable que cela paraisse, le film cite avec ses petits moyens, et à plusieurs reprises, le classique de Coppola), multiplier les combats entre Adkins et les « UniSol » regroupés en faction dissidente sous la coupe du gourou Devereaux prônant une émancipation brutale… Ceux-ci sont plus que réussis et en donnent pour leur argent avec une fougue pas vue depuis The Raid. Mais rien n’y fait, DOR ne se départit jamais de cette dimension expérimentale, de ce jeu de citations, qu’il investit avec une délectation et une assurance folles. Qu’il s’agisse du fond (un twist en début de troisième acte rendant indirectement hommage à La quatrième dimension !) ou de la forme (John finit par éliminer ses ennemis dans des plans-séquences astucieusement découpés), c’est presque du jamais vu, surtout pour une production a priori aussi routinière.

Bien sûr, le script n’a rien de shakespearien, et s’embrouille quelque peu les pinceaux avec son histoire de drogue hallucinogène, de reproduction en série et de complot (anti-)gouvernemental. Mais ici plus qu’ailleurs, ces détails importent peu : le style onirique adopté par Hyams correspond parfaitement aux thèmes que l’histoire de DOR aborde, tout entier contenus dans la figure de Devereaux, cadavre en sursis auquel un JCVD prête un visage émacié idéalement inquiétant. « Cela ne finira jamais », souffle-t-il à John, qu’il accueille comme son bourreau – ce qui n’empêche pas quelques bourre-pifs impressionnants. Une saga sur des soldats zombies qui devient méta, mais où va le monde ?


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Trois sur cinq
Universal Soldier – Le Jour du jugement
(Universal Soldier : day of reckoning) De John Hyams
2012 / USA / 119 minutes
Avec Scott Adkins, Jean-Claude Van Damme, Dolph Lundgren
Sortie en DVD, Blu-Ray et VOD le 23 janvier 2013
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