Glass Onion : enquête ironique sous le soleil
Plus coloré, mais pas moins tranchant et ludique, Glass Onion est la digne suite d’À couteaux tirés, en phase avec son époque.
Après l’ambiance automnale du Massachusetts d’À couteaux tirés, place au dépaysement estival et au soleil des îles grecques. Glass Onion, la suite attendue du succès-surprise de Rian Johnson, acquise pour près de 470 millions de dollars par Netflix (le deal comprend également un désormais très probable troisième épisode), entreprend de conserver intacts les plaisirs ludiques et sophistiqués de son prédécesseur en changeant de décor, mais pas de cible. Désormais bien installé dans la peau de Benoit Blanc, fascinant et improbable personnage de « meilleur détective du monde selon Google », dandy gay à l’accent franco-redneck, aux manières so british et au détachement très français, Daniel Craig mène à nouveau l’enquête dans le milieu des ultra-riches, offrant à son géniteur l’occasion de multiplier les tours de passe-passe tout en dégommant à boulets rouges la vanité et le capitalisme rance des 1 %. Et ça marche encore, à tel point que l’on peut regretter de ne pas savourer ce whodunit cathartique collectivement en salles.
Sous les sunlights des trop riches
Il y a une différence de taille dans la nature des personnages que rencontre cette fois le détective Blanc (prononcez « Blank ») : Glass Onion ne traite plus de l’atavisme familial d’un clan de bourgeois s’accrochant à une fortune paternelle, mais des excentricités coupables d’un gang de nouveaux riches imbuvables et imbus d’eux-mêmes. Rian Johnson a écrit son scénario en plein Covid, en 2020, et utilise dans les premières minutes ce marqueur historique pour dépeindre des personnages déconnectés du monde réel. On apprend à connaître une ex-top model accro à la jet set et peu adepte de la distanciation (Kate Hudson), un Youtubeur masculiniste fan d’armes à feu (Dave Bautista), une politicienne opportuniste (Kathryn Hahn) et un scientifique faire-valoir (Leslie Odom Jr.), tous invités à un séjour dans l’île privée de leur ami commun, le magnat de la tech Miles Bron (Edward Norton) – après avoir été semble-t-il vaccinés en avant-première ! La présence d’Helen (Janelle Monae), ancienne partenaire de Miles trahie par son ami, jette cependant le malaise dans l’assemblée, tout comme celle de Benoit Blanc, invité semble-t-il involontaire de ce week-end ensoleillé. La « murder party » peut commencer…
« Glass Onion se déguste comme un divertissement du samedi soir
rutilant et gentiment punk. »
Si la gigantesque demeure de Miles est dominée par un « oignon en verre » qui comme la chanson des Beatles, où Lennon s’amusait avec les théories délirantes des fans, matérialise bien des sens et liens cachés, ce n’est pas un hasard. Opérant à visage découvert, Rian Johnson a contribué, bien plus qu’un Kenneth Branagh, à redynamiser le genre toujours confortable, mais statique du whodunit avec À couteaux tirés, puis maintenant avec Glass Onion. Il actualise ici encore les obsessions d’Agatha Christie (en gros, égratigner par le biais d’un observateur extérieur une bourgeoisie tout aussi prompte au crime que les classes populaires qu’elle méprise) en assaisonnant son jeu de Cluedo – ne prononcez pas ce mot devant le détective Blanc ! – d’une montagne de références, doubles sens, symboles visuels ou textuels qui commentent en creux l’époque dingo que nous vivons, avec un large fond d’acidité. Et qui, ironie attendue, font le délice des internautes et sites en mal d’actu qui se font un plaisir de les lister, les commenter et les surexpliquer
Le crime était presque disruptif
« Tout cela est tellement stupide », se lamente Benoit Blanc quand vient le temps – après deux premiers actes enchâssés qui démontrent le perfectionnisme achevé du scénariste-réalisateur – d’expliquer les dessous du crime, car il y en a bien un, et même plus d’un, ainsi que la morale de l’histoire. Plus que le jeu sur l’identité de l’assassin, assez convenu une fois ses pièces assemblées (pas un hasard si Helen est celle qui fracasse le cube bourré de casse-têtes envoyé par Miles à ses invités), c’est bien celui du tir sur cibles qui fascine et divertit dans Glass Onion. Johnson ne montre aucune pitié pour sa tribu de parvenus, de « disrupteurs », persuadés de révolutionner la société alors qu’ils ne font que la niveler vers le bas par leur ignorance, leur vanité mal placée et leur absence manifeste de scrupules. Toute ressemblance avec des influenceurs, milliardaires égocentriques ou patrons de la Silicon Valley ne saurait être fortuite. Et pour remettre du plomb dans ces têtes surgonflées, le cinéaste a tendance à prendre le chemin le plus court, celui du chaos complet et pétaradant, bien loin des résolutions feutrées traditionnelles du genre.
Plus clinquant que le premier opus, débordant de couleurs vives et d’architectures extravagantes – le tournage en décor réel dans un palace grec a bien aidé – Glass Onion peut s’appuyer sur une équipe technique (costumes, montage, musique sont à saluer à manière égale) et artistique (peu de fausses notes à signaler dans un casting délicieux, si ce n’est les personnages sous-développés de Kathryn Hahn et Leslie Odom Jr.) de haut niveau pour soutenir son script féroce. Quelques longueurs et redondances se font sentir, les motivations et décisions des personnages font parfois tiquer, et la mise en scène de Johnson n’est pas exempte, étonnamment, de maladresses. Dans l’ensemble néanmoins, Glass Onion se déguste comme un divertissement du samedi soir rutilant et gentiment punk (peut-on l’être vraiment quand son producteur s’appelle Netflix ?), installant pour de bon cette nouvelle franchise dans le panthéon de notre chère pop culture moderne.