Infinity Pool : un grand bain d’hédonisme et de perversion
Le nouveau Brandon Cronenberg Infinity Pool plonge Alexander Skarsgard dans un trip surréaliste, cru, vulgaire qui fait rarement sens.
Malgré un patronyme qui aurait étouffé les velléités artistiques de plus d’un rejeton, Brandon Cronenberg s’est lancé dans une carrière de réalisateur qui ne se cache pas, depuis son tout premier long-métrage Antiviral, de cligner des deux yeux en direction de l’œuvre du père David. Même tension viscérale maintenue dans des univers où la chair devient vraiment faible, même mise à distance émotionnelle avec des personnages ballottés par des éléments plus forts qu’eux… Le fruit n’est pas tombé loin de l’autre, comme dit l’expression, mais avec Infinity Pool, son troisième film qui fait suite au moyen Possessor et dont il pourrait être une forme d’extension, Cronenberg Jr. a le mérite de creuser son propre sillon parallèle. L’atmosphère de trip hallucinogène, subversif, narrativement abscons et labyrinthique, apposé sur une couche d’intrigue d’anticipation et de provoc’ sulfureuse, fait beaucoup penser à son prédécesseur, dont il amplifie autant les défauts que les qualités.
Bas les masques et haut-le-cœur
Tourné entre la Croatie et la Hongrie, Infinity Pool imagine une contrée exotique, La Tolqa, mirage exotique où pauvreté et corruption s’arrêtent aux portes grillagées des resorts peuplés de riches Occidentaux. La métaphore de classe est aussi transparente que chez Ruben Ostlund (Triangle of Sadness). Mais Cronenberg accentue l’aspect surréaliste de son décor fictif dès les premières minutes, partagé entre plans aériens renversés et un héros, l’écrivain raté James Foster (Alexander Skarsgard, idéalement déphasé), qui peine à se rappeler où il est. Sa propre épouse, une riche héritière (Cleopatra Coleman) n’arrive pas à savoir s’il dort debout ou s’il est réveillé. La vie dans l’hôtel ressemble donc à un songe nimbé de torpeur tropicale, à peine perturbé par des activistes qui tentent d’effrayer les touristes. James croise un couple excentrique, Gabi (Mia Goth, la révélation de X et Pearl) et Alban (Jalil Lespert), qui les emmène hors du complexe pour un pique-nique bien mouillé. Sur la route nocturne du retour, James renverse un paysan du coin et tout le monde décide de fuir les lieux. Mais le lendemain, la police arrête l’écrivain et sa femme et les soumet à un choix : soit James accepte de subir la loi du talion et est exécuté par le fils de sa victime, soit il paie pour que l’on crée un clone parfait de lui, qui sera tué à sa place…
« Alexander Skarsgard donne tout, même s’il paraît timide face à la prestation en surchauffe de sa partenaire Mia Goth. »
Le parfum de stupre et d’excès qui caractérise le cinéma de Brandon Cronenberg (et de son directeur photo Karim Hussain avec qui il collabore à nouveau), plus proche que jamais de son contemporain Gaspar Noé, se déploie sans retenue dans cet Infinity Pool qui rejoue la partition connue du couple propret corrompu par un autre, dont la liberté les fascine et les révulse à la fois. Le périple de James, coquille vide qui s’éveille à lui-même en assistant à sa propre mort – et veut profiter, comme tout Occidental aisé, de sa soudaine immunité – donne l’occasion au cinéaste d’y aller fort sur les montages psychotroniques et frénétiques, les transgressions visuelles primaires (chairs lacérées, nudité frontale, semences à foison, scènes de sexe cauchemardesques, tout y passe). À partir du moment où James enfile un masque et s’acoquine avec un groupe de touristes « zombies », ayant été cloné plusieurs fois pour ne jamais rendre de comptes, Infinity Pool jette la logique aux oubliettes. Alexander Skarsgard donne tout, même s’il paraît timide face à la prestation en surchauffe de sa partenaire Mia Goth. Mais Cronenberg tourne à vide dans cette deuxième moitié moins stimulante et perturbante malgré tout ce qu’elle lance, de manière chaotique, au visage du spectateur. Coincé dans son hôtel comme dans la chanson californienne des Eagles, James reste un protagoniste unidimensionnel, dont la dérive ne nous touche pas alors que le thème du double portait en lui des interrogations passionnantes – comment savoir une fois notre corps cloné si nous sommes encore « l’original » au réveil ou le clone lui-même, s’interroge ainsi l’un des « zombies » ? Plutôt que creuser ce vertige existentiel, Infinity Pool préfère comme les autres personnages oublier ces questions et s’amuser à choquer, ce qui en fait paradoxalement un film plus sage et inoffensif qu’attendu.