On a connu nom plus facile à porter que Cronenberg. La meilleure chose qui nous soit arrivée du Canada, c’est bien le réalisateur de Scanners ou La Mouche, apôtre réfléchi et souvent ironique de la théorie de la « nouvelle chair », qui a sensiblement changé son fusil d’épaule dans la deuxième partie de sa carrière, comme l’a récemment prouvé le frustrant et fumeux Cosmopolis. Paradoxe savoureux, c’est au moment où le père présentait à Cannes ce qui restera sans nul doute comme son plus mauvais film, que le fils, Brandon, goûtait aux joies des projecteurs avec son premier long métrage en tant que réalisateur et scénariste, Antiviral. Un premier essai radical et original, qui parle, tiens donc, de célébrité et de ses adorateurs. Et également de chair malmenée et transcendée, si la parenté nécessitait encore d’être soulignée.

Mange, car ceci vient d’une star

Syd March (Landry Jones) croit avoir trouvé l’affaire du siècle auprès de la star Hannah Geist. S’il savait…

Antiviral se déroule dans un futur indistinct mais familier, où les people sont devenus plus que des silhouettes dont on s’arrache les autographes et l’attention. Ce sont des idoles au sens premier du terme, dont on s’arrache… le sang. Leurs virus, leur malformations, tout est prélevé et prêt à être inoculer pour les fans les plus accros, dans des cliniques spécialisées. Syd (le palôt Caleb Landry Jones, vu dans X-Men le commencement et Le dernier exorcisme), est employé dans une de ces cliniques. Il participe également au marché noir en s’inoculant lui-même des virus de célébrités pour les revendre au plus offrant. Autant dire que l’inconscient est rarement en grande forme, d’autant plus lorsqu’il se rend compte que l’une de ces maladies, dont souffrait la star Hannah Geist, est en fait mortelle et qu’il doit trouver une cure avant d’y passer à son tour.

Antiviral mêle donc, assez adroitement dans sa première partie, parabole cristalline sur les dérives d’addiction vers lesquelles nous mène l’adoration aveugle et fanatique des people (on ne sait d’ailleurs pourquoi pas ils sont célèbres, à part le fait qu’ils soient beaux et intouchables), et thriller en mode espionnage industriel, le tout dans une société filmée de manière clinique par Cronenberg, bien aidé par la photo brutalement clinique de Karim Hussain (réalisateur de Subconscious Cruelty et chef op débrouillard de Hobo with a shotgun). Austère mais prenant, le film joue avec complaisance sur le dégoût provoqué par ses idées fortes – outre les virus, il est également possible de déguster sous le manteau des steaks constitués à partir de cellules de célébrités. On appelle ça, en langage religieux, de la transsubstantiation : Dieu est mort, semble nous dire le cinéaste, désormais, la nouvelle religion, c’est la star élevée au rang de déesse, un Golem dont les imperfections sont autant de nourritures à ingérer, à synthétiser, pour nous donner l’espoir d’être un peu comme eux.

Long live the new flesh ?

Le Dr Abendroth (McDowell), qui détient quelques réponses pour sauver Syd.

Ces rêves dérisoires, qui participent à entrainer Syd dans une méandreuse histoire de complot commercial dont il devient un dommage collatéral, expliquent le style détaché et statique adopté par Cronenberg, qui en profite pour glisser ça et là des références directes à la filmographie de papa. On pense beaucoup aux premiers essais du père, Frissons, Chromosome 3, ou bien sûr Vidéodrome, avec cette idée que les médias et la science moderne vont de pair pour contaminer insidieusement notre quotidien, jusqu’à se conjuguer pour donner naissance à un nouveau stade de l’humanité. La nouvelle chair, à laquelle Cronenberg donne, littéralement, corps dans les dernières et cyniques minutes de son film.

Certes, malgré une vista certaine dans le montage, une assurance étonnante dans la direction d’acteurs, tout n’est pas parfait dans Antiviral (comme c’était le cas dans Rage et Frissons). Le film accuse de nombreuses chutes de rythme, certaines scènes paraissant vite redondantes ou ajoutant inutilement de la complexité à une intrigue assez forte pour être délayée de tels détours narratifs. Entre les émissions télé trash qui s’interrogent sur la nature du kyste intime d’Hannah Geist (sic), la machine à synthétiser les virus qui donne un « visage » à la maladie, ou les « arbres à cellules », absolument repoussants, il y a ici assez d’idées sauvagement tordues pour donner de longs cauchemars à ceux qui ont la phobie des microbes. Et prouver qu’au-delà de la déférence thématique envers le père, Cronenberg a définitivement tout pour se faire un prénom à l’avenir.


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Troisurcinq
Antiviral
De Brandon Cronenberg
2011 / Canada-USA / 108 minutes
Avec Caleb Landry Jones, Sarah Gadon, Malcom McDowell
Sortie le 13 février 2013
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