Le nom d’Isidro Ortiz sonne peut-être de manière familière pour les amateurs de cinéma de genre. Ce metteur en scène autodidacte, passé par un long apprentissage télévisuel, avait marqué les esprits en 2002 avec Fausto 5.0, un film fantastique étrange et original, monté avec l’aide d’une troupe de théâtre catalane avant-gardiste, la Furia del Baus. Inattendu et vraiment réussi, le film avait alors remporté le Grand Prix du festival de Gérardmer la même année. Ayant plus ou moins disparu des radars, Ortiz (voir son interview ci-dessous) a su se faire attendre avant de frapper à nouveau un grand coup en 2008, avec ce Shiver porté, comme de nombreux titres fantastiques espagnols, sur l’exploration des peurs enfantines, plus particulièrement celle du noir.

Le jeune Santi est victime d’une maladie rare et dangereuse : il est photophobique, et à ce titre, ne peut supporter une exposition prolongée à la lumière. Isolé du reste du monde, il finit par quitter la ville avec sa mère pour aller vivre au nord de l’Espagne, dans un petit village catalan où les montagnes masquent au mieux la lumière du jour. L’arrivée de la petite famille coïncide avec une série de meurtres perpétrés au cœur des bois environnants. Principal suspect, Santi est pourtant lui aussi menacé par ce qui rôde dans ces forêts obscures…

Un monstre en chacun de nous

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Santi découvre sa nouvelle école en compagnie de sa mère.

Le cinéaste explique avoir souhaité travaillé sur les notions de peur, et la représentation du mal et du bien à l’écran. Un film où les monstres ne seraient pas ceux que l’on croie, et où les ténèbres seraient finalement plus sûres que la lumière du jour. Shiver, classique dans son déroulement, tire de fait sa richesse de son script étonnamment riche et profond : aux yeux de ses camarades, de la police et également des habitants du village où il s’est installé, le jeune homme, toujours caché derrière ses lunettes noires et son polo à capuche, passe pour un vampire moderne. Un monstre, que sans connaître, on estime capable du pire. Santi est pourtant un gamin comme les autres, fan de jeux vidéo et de MSN, qui une fois en face d’un « véritable » monstre, lui aussi plein de surprises, se révèlera être véritablement effrayé, perdu, sans repères, à part le soutien de sa mère, et la bienveillance de sa nouvelle petite amie, Angela.

Shiver offre ainsi son lot de séquences sous tension, où l’indicible rôde dans la forêt, ou dans la maison de Santi, retranché dans sa chambre. Sa peur est d’autant mieux communiquée qu’elle est universelle : qui n’a pas rêvé en suant du front que la porte de sa chambre s’ouvrait la nuit et qu’un monstre en sortait ? Pas de gimmick bas du front style Boogeyman, ici, pourtant. Il serait criminel de révéler le mystère que renferment ces bois – la jaquette s’en charge malgré tout avec peu d’égards pour le spectateur – mais on peut affirmer après vision qu’Ortiz, comme ses compatriotes, a bétonné son script avant de s’atteler à sa mise en images. Et s’il ne s’interdit pas quelques effets de style chocs et éprouvés (comme le copain du héros qui fait irruption dans le champ au moment où on s’attendait à voir le « monstre »), il se met avant tout au service de son histoire, d’une implacable logique. Collant aux basques de son héros forcément un peu noctambule, Ortiz multiplie les alternances entre scènes diurnes de moins en moins rassurantes, et scènes nocturnes où les effets chocs, mais aussi les révélations, s’accumulent. Jusqu’à inverser en fin de parcours les données, pour faire basculer l’horreur, de plus en plus réaliste, au grand jour. Le processus est fascinant, et de plus, toujours justifié.

Ainsi, bien que fermement ancré dans une tradition de thriller d’épouvante avec mystère à déchiffrer, Shiver, tout comme L’Orphelinat et REC (qui eux aussi suivent des schémas narratifs éprouvés), transcende le genre pour offrir de multiples niveaux de lecture, allant du divertissement avec sueurs froides garanties, à l’étude de cas sur la notion d’apparence dans un monde toujours plus cartésien. Une vraie réussite, donc, seulement ternie par un dernier plan entendu et un peu trop poussif au vu de ce qui précède.


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Quatre sur cinq
Shiver, l’enfant des ténèbres (Eskalofrio)
D’Isidro Ortiz
2008 / Espagne / 97 minutes
Avec Junio Valverde, Mar Sodupe, Roberto Enriquez
Sortie le 23 janvier 2013 en Blu-ray et DVD
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Bonus : rencontre avec Isidro Ortiz, réalisateur

[quote_center] »L’originalité de mon film est que le héros doit être toujours dans l’obscurité pour être en sécurité. »[/quote_center]

Découvrez notre entretien avec Isidro Ortiz, réalisateur de Shiver, rencontré en 2008 lors de la présentation du film au Festival international du film fantastique de Bruxelles (BIFFF).

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Le jeune Santi se retrouve pris au piège dans sa chambre…

Comment présenteriez-vous les thèmes abordés dans Shiver ?

I.O. : J’ai avant tout voulu baser le film sur les notions de dualité, d’ambivalence. On trouve la dualité entre la ville où commence l’histoire, et la campagne, qui est censée être un nouveau départ pour Santi et sa mère. On y parle aussi de la dualité entre le bien et le mal, l’ombre et la lumière, et toutes les idées reçues qui s’y attachent. L’originalité de mon film étant que ce cas présent, le héros doit être toujours dans l’obscurité pour être en sécurité.

Shiver parle à la fois de la nature monstrueuse de l’homme, mais aussi de la menace représentée par la Nature elle-même. Quelle vision avez-vous de celle-ci ?

I.O. : Dans Shiver, la Nature est vue comme l’autre côté de la civilisation, là où il n’y plus de règles, et où tout peut arriver. C’est une notion que l’on avait tendance à oublier dans notre civilisation moderne, mais l’Homme a lui-même une vision paradoxale de la Nature : elle nous attire, parce que nous nous voyons un peu en elle, nous y voyons nos instincts révélés. Mais elle nous fait peur aussi, de par cette absence de règles, justement.

Comment avez-vous trouvé les lieux naturels où tourner le film ? Ces paysages sont vraiment impressionnants…

I.O. : Cela n’a pas été facile, nous avons beaucoup tourné dans le Nord du pays, et à chaque fois, nous nous faisions les mêmes réflexions : « Oui, ça c’est très beau, mais ça ne va pas, il y a trop de soleil ! » (rires) Le village où se déroule l’action a été difficile à trouver. Parce qu’il faut bien le dire, il n’y a pas beaucoup d’endroits sans lumière où les gens ont envie d’habiter !

Comment avez-vous travaillé avec vos co-scénaristes (NDLR : Alejandro Hernandez, Herman Migoya, Jose Gamo) pour construire cette histoire ? On pense successivement que Shiver parle de maison hantée, de monstres, avant de partir encore sur une autre piste à suspense ?

I.O. : On a pas forcément travaillé consciemment sur ces fausses pistes, l’idée était plutôt de s’attaquer à des images classiques et célèbres, comme la forêt impénétrable, la maison isolée, les villageois méfiants… Le but était d’en faire un mixage étonnant. Même si je suis fan de films fantastiques, j’ai préféré partir de cette idée d’un enfant perdu dans la forêt, plutôt que de travailler sur des monstres imaginaires et purement fantastiques. C’était intéressant de parler d’un héros malade, vu comme un vampire alors qu’il s’agit d’un adolescent bien réel. La photophobie reste une maladie très grave, beaucoup de gens en sont atteints, et les effets sont terribles : la peau part très vite en lambeaux quand on est exposé, les dents se retroussent, les cheveux tombent. C’est vrai que de loin, cela peut rapprocher la maladie du mythe du vampire.

L’acteur justement, est-il vraiment pâle ou a-t-il été beaucoup maquillé ?

I.O. : Un peu des deux, en fait, je lui ai surtout demandé de ne pas trop sortir, d’aller à la piscine et surtout de ne pas aller à la plage ! (rires)

Était-il difficile de doser les touches d’humour qui parsèment le film ?

I.O. : Oui, parce que pour équilibrer l’histoire, il faut toujours trouver un élément comique, plus léger, comme dans ce cas l’ami du héros. Il faut trouver un juste milieu, éviter qu’il ne serve juste qu’à faire le clown.

ATTENTION SPOILER ! A NE PAS LIRE AVANT D’AVOIR VU LE FILM

Santi et l’enfant sauvage, bien que tout les sépare, peuvent être vus comme des victimes, à la fois de la Nature et de la civilisation ?

I.O. : Oui, dans un sens, ce sont des victimes différentes, mais pas tant que ça. Ils vivent chacun en marge de la société, passent pour des monstres aux yeux des autres, et ça les isole tous les deux. Donc, ça les rapproche en fin de compte. L’histoire du film nous révèle que malgré les préjugés, nous sommes nous-mêmes très proches d’eux.