Le manga Kenshin le vagabond et les 95 épisodes de la série animée (sans compter les OAV) réalisés dans les années 90, constituent sans doute l’une des sagas les plus populaires au Japon. L’univers créé par Nobuhiro Watsuki a participé à la remise au goût du jour des codes du chambara, équivalent nippon de nos films de cape et d’épée. Originalité supplémentaire, le récit se situe en 1878, au début de l’ère Meiji (époque où le Japon a commencé à ouvrir ses frontières et se moderniser). C’est dans cette période charnière que l’on suit les aventures de Kenshin Himura, ancien samouraï à la férocité légendaire, qui a juré après la fin de la guerre aux côtés de l’Empereur de ne plus tuer personne. Il se contente, un peu comme le masseur aveugle Zatoichi, d’aller de village en village offrir protection à son prochain, muni d’une épée au tranchant inversé : efficace pour rosser les malandrins, un peu moins pour les occire.
[quote_left] »C’est surtout pour ses scènes d’action qu’on se souviendra de Kenshin. » [/quote_left]La très luxueuse adaptation dirigée par Keishi Otomo adapte, en un peu plus de deux heures, cinq des vingt-huit tomes du manga, compilant et mixant plusieurs personnages et puisant dans le passé de Kenshin pour les besoins du prologue. Rurouni Kenshin se révèle fidèle à son matériau d’origine, introduisant au fil des minutes tous les protagonistes principaux de l’univers de Watsuki : Kaoru, héritière d’un dojo en perdition qui accepte l’aide de l’ancien samouraï, Megumi, fille de médecin pourchassée car elle connaît les secrets de fabrication de l’opium, et surtout Sanosuke, un bagarreur né doté d’une force assez colossale pour manier une énorme épée-hachoir (qui servait apparemment à débiter des chevaux !). Ce qui pourrait apparaître comme une série de passages obligés devient d’une parfaite et presque étonnante fluidité à l’écran, la reconstitution patiente de ce microcosme étant aussi passionnante pour les connaisseurs que pour les non-initiés.
Combats de maîtres
L’histoire se concentre donc sur la guerre de ces quatre héros contre le caïd Takeda, mégalomane à la coupe de cheveux ridicule rêvant de faire tomber l’empire japonais grâce à l’opium. Le dojo de Kaoru étant le seul obstacle à raser pour construire son empire, Kenshin et ses amis n’ont d’autre choix que de s’attaquer à son armée de sous-fifres. En parallèle, un assassin sème la mort en se faisant passer pour « Battosai », surnom sous lequel Kenshin était avant connu. Un ennemi qui souhaite plus que tout affronter le légendaire bretteur, et le faire renoncer à son vœu de ne plus tuer.
Si la reconstitution du Tokyo au XIXe siècle reste tout à fait séduisante, et les deux intrigues principales bien gérées (malgré quelques confusions d’identité dans les premières séquences), c’est surtout pour ses scènes d’action qu’on se souviendra de Kenshin. À vrai dire on avait pas vu mieux dans le genre depuis 13 Assassins, et même là, il faut avouer que le Takashi Miike paraît brouillon en comparaison. Dès les premières minutes, qui content les derniers instants de la guerre de Bakumatsu et montrent « Battosai » décimant les troupes ennemies sans reprendre son souffle, on est happé par l’enchaînement de mouvements rapides, de « combos » inattendus et de poses exagérément iconiques. Le découpage des combats, d’une fluidité rassurante et moins câblé que chez le voisin chinois, n’ira qu’en s’améliorant au fil des minutes, Otomo se lâchant véritablement dans le dernier tiers du film, ébouriffante bataille à la Big Boss à 2 contre 100, avec des face-à-face dont l’inventivité et la brutale virtuosité rappellent les meilleurs Tsui Hark. L’un des adversaires de Kenshin fait même flirter ces duels avec le fantastique, à l’aide d’un pouvoir très « vaderien »… de compression des poumons à distance !
Le blues de l’assassin
Kenshin échappe par ailleurs à l’ornière du « jeu vidéo filmé » en opposant des personnages aussi létaux que tourmentés. C’est la marque de fabrique de la saga : le vagabond Kenshin est moins un justicier cherchant à se constituer une famille qu’un homme brisé, déterminé après avoir tué des centaines d’ennemis à vivre en suivant un code de conduite plus honorable. La difficulté de cette quête est bien représentée par la cicatrice en forme de croix qu’il arbore sur la joue : une « griffe du passé » dont l’origine nous est dévoilée dans un poignant (et larmoyant) flash-back. Une marque indélébile qui souligne en permanence la dualité de ce héros tantôt affable, tantôt impitoyable. Autour de lui, chacun poursuit sa propre quête intérieure et agit en conséquence, qu’il s’agisse d’un héritage à honorer, d’une course au pouvoir ou d’un besoin maladif de reconnaissance.
Dans la peau de Kenshin, le relativement inconnu Takeru Satoh se montre très convaincant sabre à la main, même si son visage un poil inexpressif le rend un peu trop tendre pour un tel rôle. Plus impressionnant (et fidèle à sa représentation animée) est Munetaka Aoki dans le rôle de Sanosuke, personnage gouailleur et vantard semblant tout droit sorti d’un Street Fighter. Teruyuki Kagawa, vu dans Key of life, hérite lui du rôle plus ingrat du big boss de série B, Takeda, caricature de vilain toujours caché derrière ses hommes de main. De l’avis des connaisseurs eux-mêmes, le casting de Rurouni Kenshin s’avère idéal, la réalisation léchée d’Otomo aidant aussi certainement à masquer les faiblesses de leur jeu parfois stéréotypé. Dans tous les cas, l’entreprise d’adaptation a débouché sur un succès colossal dans son pays d’origine, le film étant tout simplement le plus gros succès du box-office nippon de 2012. Sans surprise au vu du matériel narratif à disposition, une suite a déjà été annoncée. En attendant ce deuxième opus, une sortie digne de ce nom de cet épatant chambara chez nous s’avère obligatoire !
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Rurouni Kenshin
De Keishi Otomo
2012 / Japon / 134 minutes
Avec Takeru Satoh, Emi Takei, Munetaka Aoki
Sortie le 20 avril 2016 en DVD et Blu-Ray (Metropolitan)
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