Des thrillers inspirés d’une histoire vraie, le cinéma américain en charrie à la pelle, et l’on sait que derrière cette mention opportune (plus de réalisme = plus d’implication du spectateur) se cache souvent un travail de déformation intense de ces mêmes faits par les scénaristes, au point même qu’on se demande souvent ce qui peut bien être réel dans la fiction finalement proposée. Le cas de Suspect (aussi connu sous son titre original, plus révélateur, de The Frozen Ground), production sortie en catimini à Noël 2012 avant de paraître chez nous en vidéo, après une présentation au Festival de Deauville 2013, n’est pas différent. Le film retrace de manière parcellaire et simplifiée l’enquête ayant mené dans les années 80 à l’arrestation de Robert Hansen, sans doute le serial-killer le plus « prolifique » (il aurait tué entre 17 et 21 femmes) qu’ait connu l’Alaska. On est là dans le procédural classique, avec une ambiance particulière qui provient en grande partie des décors naturels d’Anchorage (la capitale de l’État, maintenant vous saurez) et ses environs, et qui sont captés dès l’ouverture dans tout leur côté grandiose et lugubre à la fois. C’est le point fort d’un film qui se garde bien par ailleurs de sortir des sentiers battus.

Le sergent et la prostituée

Suspect : traque en Alaska

Plutôt que de se concentrer sur la personnalité, à vrai dire assez glauque, de Robert Hansen, qui derrière ses apparences de père de famille populaire parmi ses amis, cachait un profil de psychopathe bipolaire et misogyne, adepte de la chasse à l’homme (ou plutôt à la femme) en forêt, Suspect se concentre avant tout sur la relation étrange qui naît entre le sergent responsable de son arrestation, Jack Halcombe (qui s’appelait Glenn Fothe dans la vraie vie) et l’une des victimes de Hansen, Cindy Paulson, qui avait miraculeusement réussi à échapper aux griffes de son ravisseur. C’est le point de vue que choisit le réalisateur et scénariste débutant Scott Walker pour relater cette traque bien particulière. Elle obligea en effet les différents services de police d’Anchorage et de l’Alaska à collaborer pour éplucher les dossiers de personnes disparues, et relier tous les crimes entre eux pour coincer un tueur au-dessus de tout soupçon, qui parvenait à chaque fois à trouver un alibi pour s’innocenter de ses crimes. Si le film parvient à se montrer convaincant, c’est dans cette reconstitution d’un travail fastidieux et pourtant essentiel, seul moyen de déstabiliser un Hansen ayant toujours un coup d’avance.

[quote_right] »Suspect évoque, dans une très moindre mesure, Zodiac. »[/quote_right]Là où Suspect marque moins de points, c’est avant tout dans cette option prise de s’attarder sur le personnage de Cindy Paulson, incarnée par la popstar délurée Vanessa Hudgens (Spring Breakers). On sent que le rôle de Paulson, prostituée adolescente à la dérive qui permet au scénario de justifier de multiples scènes dans des clubs de strip-tease – pour être fair-play, c’est souvent là que Hansen venait chercher ses « proies » -, a été modelé pour permettre à la teen idol de prouver ses qualités d’actrice dramatique. Seul problème, son personnage, essentiellement périphérique (c’est un témoin en puissance), n’apporte rien de passionnant à l’histoire avant son dénouement, et charrie de plus un tas de sous-intrigues inutiles, dont la pire reste sûrement l’affrontement avec son mac, joué par… 50 Cent ! Le rappeur n’est pas co-producteur du film pour rien… Plutôt que de décrire par le menu le quotidien ambivalent de Hansen (John Cusack, pas toujours convaincant, mais présentant une ressemblance frappante avec le véritable tueur) ou même la façon dont Paulson lui échappe – qui reste assez confuse -, Suspect perd donc un temps précieux à décrire le milieu de la prostitution à Anchorage et l’errance peu inspirée de Hudgens et sa moue boudeuse.

Un retour en forme

Suspect : traque en Alaska

Heureusement, le film peut s’appuyer pour sa partie enquête sur un Nicolas Cage dans un bon jour. Après une série de productions allant du plus immédiatement oubliable (Hell Driver, Le dernier des templiers, L’apprenti sorcier) au plus nettement embarrassant (Ghost Rider 2, Le pacte, Effraction, 12 heures), le moins que l’on puisse dire est que l’acteur fait ici plaisir à voir. Sobre, concerné et traduisant en peu de gestes l’évolution de son personnage, qui passe au fil de l’histoire de l’inspecteur usé par le poids de ses investigations à l’enquêteur possédé par une force de conviction inébranlable, Cage domine cette fois son rôle avec autorité, même dans les éclats de colère qui marquent sa dernière confrontation avec Cusack. Suspect était d’ailleurs présenté à Deauville en même temps que Joe, le nouveau David Gordon Green (Prince Avalanche), où la star semble  renouer avec une exigence de jeu qu’on croyait ensevelie sous le poids des séries B honteuses.

S’il ne rend pas forcément justice à la complexité d’un cas qui s’apparentait un temps à un casse-tête judiciaire et humain à la Zodiac, Suspect a toutefois le mérite de s’y attaquer avec un ton anti-emphatique qui rappelle, dans une très moindre mesure, le film de Fincher. Walker tire malgré tout un peu trop sur la corde émotionnelle en alignant avant le générique de fin les photos des victimes de Hansen, comme s’il se rendait compte au dernier moment que leur histoire n’avait pas été complètement racontée. Que Suspect les replace dans l’esprit du public constitue déjà un aboutissement en soi.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

troissurcinq
Suspect (The Frozen Ground), de Scott Walker
2013 / USA / 105 minutes
Avec Nicolas Cage, Vanessa Hudgens, John Cusack
Sorti le 30 septembre chez Seven 7
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