En 1956, Don Siegel terrorisait son audience dans L’invasion des profanateurs de sépulture en montrant non pas des araignées géantes ou des tripodes menaçants envahir la Terre comme c’était alors la norme, mais des humains comme vous et moi, colonisés de l’intérieur et dupliqués par des organismes extraterrestres. Siegel et son scénariste Jack Finney se livraient dans le cadre d’une série B fantastique à une critique à peine masquée du maccarthysme, montrant dans un final devenu célèbre que la faiblesse la plus dangereuse des USA était sa tendance à la paranoïa, notamment anti-communiste. Les différents remakes de Body Snatchers allaient correspondre eux aussi à des périodes clés de l’histoire américaine (l’après-Watergate, la guerre du Golfe), donnant un relief politique insoupçonné à cette histoire d’invasion silencieuse.

 

[quote_left] »Leur corps dit oui, leur cerveau dit non, mon Dieu dois-je attendre d’être sûr de l’aimer pour coucher ? » [/quote_left]Dans Les âmes vagabondes (ou The Host en VO, à ne surtout pas confondre avec le classique de Bong Joon-Ho), pas de panique à avoir : la seule métaphore contenue dans l’histoire est sexuelle, et vu qu’il s’agit d’une adaptation PG-13 d’un livre de Stephenie Meyer (Twilight pour ceux qui étaient en hibernation), on peut vous garantir que le film ne promeut pas l’épanouissement personnel par une pratique frénétique de la partouze.

Les schyzos de l’espace

 Les âmes vagabondes

 

Contrairement au modèle Siegelien, sur lequel le réalisateur Andrew Niccol et Meyer basent leur intrigue, Les âmes vagabondes démarre après que la Terre ait été envahie. Bon, apparemment, tout s’est passé sans trop de problème pour les amibes venues de l’espace, qui comme on nous l’explique en ouverture (quasiment la même qu’Oblivion), ont pris le contrôle de tous les êtres humains en passant par la nuque – qui est le con qui les a laissés rentrer ? Tous ? Non, bien sûr, car ça et là sur la planète, une Résistance s’est organisée pour ne pas ressembler à un androgyne aux yeux brillants habillé en kevlar blanc. Dans The Host, les aliens circulent dans des voitures recouvertes d’aluminium, c’est vous dire s’il y a urgence à reconquérir notre planète. Bref, l’héroïne du film s’appelle Mélanie, et pourchassée par nos pacifiques mais un peu dominateurs extraterrestres, elle préfère se tuer plutôt que de se rendre. Manque de pot, la résistante est infiltrée par une… âme nommée Vagabonde (ah mais du coup il n’y en a qu’une ? On nous ment !). Laquelle âme prend donc le contrôle de son corps, mais pas totalement de son esprit. Saoirse Ronan (Lovely Bones et plus récemment Byzantium) se retrouve donc à devoir parler avec elle-même, vu qu’il y a un peu trop de monde dans sa tête. À l’écran, le principe rappelle L’aventure intérieure, en moins drôle et en plus chiant.

 

Après un quart d’heure de grand suspense farci de flash-backs pendant lequel on se demande si Mélanie va convaincre Vagabonde de l’aider à retrouver son corps – spoiler : elle y arrive -, la diaphane actrice, pourchassée par une Diane Kruger qui a l’air de jouer dans un énième épisode de La Mutante, rencontre au beau milieu du désert une poche de résistance emmenée par nul autre que William Hurt. Et c’est là que les choses sérieuses, ou plutôt sérieusement graves, commencent. Car, voyez-vous, dans cette communauté cachée dans un cratère garni de 200 panneaux solaires rotatifs (ne me demandez pas comment ils les ont amenés là, on a pas la nuit non plus), il n’y a quasiment que des beaux gosses et de mignons enfants, quasiment tous blancs et pas gros en plus – une obsession typiquement nicollienne si on se rappelle son Time Out. Il y en a deux, notamment, le fils de Jeremy Irons et un recalé du casting de Gossip Girl, avec lesquels le duo schyzo Mélanie / Vagabonde se verrait bien jouer à Brokeback Moutain. L’un aime son « esprit », l’autre son « corps ». Oh là là, que choisir ?!

Les remous intérieurs

 Les âmes vagabondes

 

À ce stade, vous avez sans doute compris le gros problème des Âmes vagabondes : le genre, ici la science-fiction, n’est rien d’autre qu’une enveloppe attractive et divertissante pour déballer les obsessions émo-niaises de Stephenie Meyer. Durant une bonne heure qui en paraît deux, il ne se passe strictement RIEN : la communauté écolo où échoue notre héroïne récolte tranquillement du blé, autopsie artisanalement des cadavres d’aliens (« Mais c’est horrible ! » hurle Vagabonde. « Euh, oui, enfin moins que la colonisation massive d’une planète, cocotte », a-t-on envie de lui répondre)… Bloqué avec eux dans une caverne en toc, le spectateur attiré par la promesse d’un récit épique ou au moins trépidant, assiste médusé à un jeu de « embrasse-moi-non-plus » entre une actrice catatonique et deux crétins figés dans un regard d’éternels naufragés de la pensée. Pour vous dire à quel point chaque enjeu potentiellement dramatique est sacrifié, Saoirse Ronan se retrouve vers la fin coincée dans un plan fixe pour des adieux sanglotants en regard caméra, un supplice d’au moins cinq minutes… Mais surprise, son âme sacrifiée renaît la séquence d’après, ouf, on a failli pleurer !

 

Comme dans Twilight, la SF est ici un prétexte transparent pour parler des émois adolescents des jeunes filles en fleur : leur corps dit oui, leur cerveau dit non, mon Dieu dois-je attendre d’être sûr de l’aimer pour coucher ? Autant dire que le public vraiment visé (en gros, les hurleuses qui trouvent que Taylor Lautner est « un trop bon acteur, quoi ») n’a aucune envie d’entendre parler de vertige paranoïaque, de questionnements sociétaux – pour une fois, les envahisseurs souhaitent apporter la paix sur Terre et non la désolation – ou de voir des batailles spatiales. On passera sous silence l’incohérence grossière dans le traitement de ces ET pantouflards, présentés à la fois comme des oppresseurs sans pitié et de gentils voyageurs de l’espace. Peut-être Niccol cherchait-il à insérer une certaine forme de complexité dans son interminable bluette ? À voir la façon hautement comique dont il montre la Résistance infiltrer les rangs ennemis – vus que les aliens ont les yeux brillants, il suffit de mettre des lunettes de soleil, et tant pis s’il fait nuit –, ou dont il squeeze le personnage de Diane Kruger, le seul véritablement intéressant dans cette histoire, on doute que le réalisateur ait vraiment saisi l’intergalactique connerie conservatrice de ce qu’il illustre.

Note BTW


1

Les âmes vagabondes (The Host)

D’Andrew Niccol / 2013 / USA / 106 minutes

Avec Saoirse Ronan, Diane Kruger, Max Irons

Sortie le 17 avril