Car Crash : un jour sans frein
Découvert en festival, Car Crash propose une variation tragique et musclée d’Un Jour sans fin. Ou quand le pire des drames se répète à l’infini…
C’est parce que la sensation de déjà-vu et de devoir répéter à l’infini durant sa vie les mêmes gestes est universelle, que le principe de la boucle temporelle fonctionne aussi bien au cinéma. Si le représentant le plus proverbial du genre reste Un jour sans fin, d’autres exemples illustres ayant exploré les riches possibilités de ce concept science-fictionnel viennent instantanément en mémoire : L’effet papillon, Edge of Tomorrow, Source Code, Triangle, ou les plus confidentiels Timecrimes, Predestination et The man from the future… La liste est inépuisable, et le coréen Car Crash (titré A Day à l’époque de sa présentation en festival) vient s’y ajouter avec un certain panache, puisqu’il apporte à l’idée de base (un quidam revit encore et encore une même journée sans savoir pourquoi) plusieurs idées fraîches qui fonctionnent parfaitement.
58 minutes pour survivre
Le héros est un chirurgien renommé, Jun-young, porté sur l’humanitaire et les relations publiques, qui revient d’un passage triomphal aux Nations Unies, un peu trop tard au goût de sa petite fille. Celle-ci a fêté son anniversaire sans lui, et Jun-young lui donne rendez-vous dès son atterrissage pour se faire pardonner. Horreur : le père de famille arrive trop tard à une intersection chargée pour sauver sa petite, fauchée par un taxi qui s’est encastré quelques mètres plus loin dans un chantier. Dévasté, Jun-young se réveille brutalement une heure plus tôt : il revit encore et encore ce moment tragique, croyant que le destin lui donne une autre chance de sauver sa fille, alors qu’il le condamne en fait à échouer à chaque fois. L’occasion de constater l’insolente liberté dont dispose le cinéma sud-coréen commercial, qui peut se permettre un montage mélodramatique de séquences montrant un accident mortel impliquant une petite fille sous des dizaines d’angles différents. Car Crash marche sur un fil périlleux lorsqu’il montre sa victime flotter au ralenti en l’air, ses bonbons projetés en tous sens comme dans une rêverie adolescente, avant de retomber brutalement sur le bitume devant un papa effaré.
Ce drame à répétition pourrait tourner à la glauquerie exploitative, si le script n’avait pas dans sa manche des atouts supplémentaires, pour embrayer sur un second acte plus inattendu. Après une énième tentative avortée et une séance de pleurs supplémentaire enfermant ce père trop occupé dans une spirale de regrets, Jun-young est pris à parti par un ambulancier tout aussi stressé et énervé que lui, qui a remarqué plusieurs fois ses changements de comportement sur la scène du crime. Et pour cause : il s’avère que le médecin n’est pas le seul à être coincé dans cette boucle mortelle !
Équation temporelle
En ajoutant une composante supplémentaire à son équation fantastique, Car Crash démultiplie la force de son suspense, le récit prenant une dimension plus opératique et épique : les deux anti-héros sont bien évidemment liés par un événement passé, et la forme de justice immanente qui s’abat sur eux n’a rien d’aléatoire. Alors certes, dans cette course très littérale au cliffhanger perpétuel (comprendre plus vite, arriver plus tôt pour déjouer l’inéluctable), le film prend quelques libertés avec la logique, voire avec sa cohérence temporelle interne. Tout ne fait pas sens si l’on regarde la chronologie des événements à tête reposée.
Pour son premier (et pour l’heure unique) film, Cho Sun-ho démontre malgré tout une belle maîtrise de l’action et du montage alterné. Le troisième acte se permet des détours moraux étonnants, et cristallise des enjeux casse-gueule autour du pardon et du sacrifice dans un épilogue à la fois apaisé et déchirant. Un moment doux-amer pour conclure une aventure à perdre haleine, captivante malgré ses inévitables excès lacrymaux.