Achoura : nuit de frissons au Maroc
Étiqueté « premier film fantastique marocain », Achoura ne manque pas d’ambition, en plus de présenter un monstre réussi.
Plus exportables culturellement que la comédie, les films fantastiques constituent souvent une porte d’entrée appréciable pour découvrir des cinématographies étrangères méconnues, voire invisibles sur nos écrans. Mettre le Maroc sur la carte du film de genre était le défi principal que souhaitait relever le réalisateur Talal Selhami, auteur en 2009 d’un premier long-métrage, Mirages, plus inclassable que cet Achoura explorant des contrées surnaturelles plus familières. Présentée dans de multiples festivals en 2018 (dont le PIFFF et Sitges, d’où il est reparti primé), cette histoire de monstre baignant dans une mythologie spécifique à la culture locale porte sur ses épaules la charge d’être le premier film fantastique franco-marocain. Et s’il essuie quelques plâtres au passage, la sincérité artisanale du projet permet de passer en grande partie outre ses manques et maladresses, notamment au niveau de l’interprétation d’acteurs pas toujours à la hauteur.
Un fantastique familier, mais loin des clichés
Même s’il traite de peurs anciennes pourchassant ses personnages dans leur vie d’adulte et de monstres se nourrissant de l’innocence des enfants, à la façon d’un Stephen King ou d’un Guillermo del Toro, Achoura n’est pourtant pas simple à résumer. L’action débute lors d’une nuit d’« achoura », une fête marocaine dédiée aux enfants, durant laquelle le jeune Samir voit son amie capturée par une créature démoniaque dans une maison coloniale abandonnée. Vingt ans plus tard, quatre amis dont on découvrira qu’ils étaient amis d’enfance, se regroupent lorsque l’un d’eux, qui est en fait Samir, refait surface : il porte en lui la malédiction d’Achoura. Ils vont devoir se confronter à nouveau à ce monstre légendaire après avoir oublié jusqu’à son existence…
« Un bon film de monstre, c’est donc d’abord un bon monstre, et de côté-là, Achoura réussit son pari. »
Écrit à six mains par Selhami, Jawad Lahlou et David Villemin, Achoura porte ses influences anglo-saxonnes en étendard sans rien sacrifier pourtant à son identité marocaine. S’éloignant des clichés exotiques associés au pays, s’essayant aux décors gothiques comme aux panoramiques pastoraux sur une campagne verdoyante, le cinéaste déploie une intrigue schématique, mais ambitieuse, sautant entre les époques pour conter, à la manière d’un ça, une bataille à travers les âges contre un ennemi terrifiant et impalpable. Un djinn, finit-on par comprendre, qui avec son regard vitreux, sa forme sablonneuse et sa gueule béante (dont le « mécanisme » des mâchoires renvoie aux reapers de Blade 2) constitue la plus belle réussite du film – Selhami souhaitait qu’il soit en partie réalisé « en dur » sur le plateau, mais la production compliquée fait qu’il est entièrement numérique, quelques plans moins convaincants trahissant parfois ce revirement de dernière minute. Un bon film de monstre, c’est donc d’abord un bon monstre, et de côté-là, Achoura réussit son pari : le réalisateur chouchoute sa star, mais soigne tout autant le folklore qui l’entoure, à base d’appeaux providentiels et de chaînes protectrices. C’est cet apprentissage express d’un univers complètement méconnu au cinéma, vu par le prisme de trois amis prêts à se sacrifier pour remplir la promesse qu’ils s’étaient faits enfants, qui rend cet Achoura modeste en apparence aussi précieux.