Avant la sortie, l’année dernière, de ce film de zombies bicéphale qu’était Goal of the Dead, avouons-le, nous n’avions aucune idée de ce qu’était devenu Thierry Poiraud. Le réalisateur français avait en 2004 tenté avec son frère Didier une gentille OPA sur le terrain du film de SF hexagonal complètement frappé du bulbe avec Atomik Circus, le retour de James Bataille. Une opération financièrement suicidaire, avec un casting de têtes connues (Vanessa Paradis, Benoît Poelvoorde) balancé au cœur d’un hommage hirsute aux séries B des années 50, produit pour 14 millions d’euros par TF1. Sans être un bide intersidéral, le film a néanmoins catalogué rapidement Poiraud comme un dangereux sauvageon aux goûts bizarres, et l’a fait plus ou moins disparaître des radars des producteurs pendant une dizaine d’années.
[quote_center] »Les Misfits rencontrent Battle Royale. »[/quote_center]
Remercions donc dès à présent les têtes pensantes de Capture The Flag Films, qui ont sorti ce cinéaste singulier de cette ornière, en lui confiant d’abord l’un des deux volets du diptyque Goal of the Dead, avant de financer un de ses scripts qui lui tenait plus à cœur : Don’t grow up (devenu depuis pour son exploitation Alone). Co-production franco-espagnole, il s’agit cette fois encore d’un film de genre, doté en conséquence d’un budget serré, mais débarrassé de tout le second degré qui pouvait jusqu’ici caractériser son œuvre. L’originalité du film, outre le fait d’être quasi exclusivement joué par des adolescents et pré-ados, est d’inverser le postulat habituel des films fantastiques liés à l’enfance. Contrairement au classique Les révoltés de l’an 2000 ou à son descendant spirituel The Children, ce ne sont pas ici les enfants qui deviennent des monstres homicides s’attaquant au monde des adultes, mais ces derniers qui déversent leur rage sur d’innocents teenagers. De ce fait, Alone dépasse rapidement son statut – assumé – de série B pleine de suspense, pour disserter sur la fin de l’innocence, sur ce que « devenir adulte » signifie vraiment, et sur la notion d’héritage et d’autonomie dans un monde où la loi du plus fort serait le seul mot d’ordre.
L’enfer, c’est ta mère
L’action se déroule sur une île au large de l’Écosse, et démarre au sein d’un centre d’hébergement pour jeunes en difficulté. Poiraud dépeint en quelques scènes et confessions face caméra une poignée de personnages hauts en couleur, du beau parleur Liam (McKell David) à la faussement effrontée Pearl (Madeleine Kelly), qui ont en commun d’avoir une peur manifeste de leur avenir. Livrés à eux-mêmes dans un centre mystérieusement déserté, ils trompent leur ennui comme ils peuvent, avant de partir en ville à pied. Sur place, l’horreur de la situation leur saute aux yeux : la population, plus spécifiquement les adultes, a sombré dans une folie meurtrière généralisée (l’occasion d’une séquence choc dans un appartement, qui définit en quelques secondes l’intensité de la menace). Les enfants sont particulièrement visés, et nos héros, pas dénués de ressources, mais pris au dépourvu, doivent fuir. Durant cette éprouvante aventure, les circonstances rapprochent Pearl du garçon le plus mutique de la bande, Bastian (Fergus Riordan), qui traîne depuis des années un traumatisme d’enfance sévère…
Derrière cette proposition de genre qui coche une à une les cases du survival nerveux (moments de suspense carpenteriens en milieu urbain, parfum d’apocalypse, disparitions brutales de personnages et retour aux instincts sauvages), Thierry Poiraud propose avec Alone une exploration assez culottée du marasme adolescent, ici pris en étau entre des adultes devenus antagonistes, et des enfants plus jeunes qui prennent les armes pour se prémunir contre ces « presque adultes », susceptible de se transformer d’un moment à un autre en bêtes enragées. C’est une idée simple, mais diablement efficace, pour illustrer les difficultés de cet « entre deux âges » où l’on sait que l’inconscience de l’enfance est derrière nous, mais où la prise de responsabilité et l’attachement à autrui ne sont pas encore une nécessité impérieuse. En l’absence d’adultes, le monde a sombré, mais il n’appartient qu’à ces ados, tous fragiles d’une certaine manière, d’y trouver une place. Ce besoin du film d’être à la fois dans le sensitif (il dure moins d’une heure et demi, et ne perd pas beaucoup de temps pour enchaîner les péripéties et tailler dans son casting) et le réflexif – les personnages passent parfois de longues minutes à questionner leur condition – fait à la fois la richesse, et la relative faiblesse d’Alone.
De l’ambition… et des passages à vide
Mélangeant des vues aériennes scandinaves et un tournage aux Canaries, l’île décrite dans Alone est un microcosme irréel, fait de forêts profondes, de déserts arides et de côtes bétonnées : un décor singulier, parfait pour accentuer l’isolement de ses héros, et qui donne un petit côté « les Misfits rencontrent Battle Royale » à l’affaire pas déplaisant. La photo de Matias Boucard (L’affaire SK1, et bientôt L’Odyssée), considérant les moyens financiers limités, est particulièrement inspirée, et quelques effets numériques judicieusement utilisés – la révélation de la ville en ruines notamment – se chargent d’apporter une certaine ampleur à un script qui ne faiblit jamais en ambition. Le casting, enfin, qui mélange ados débutants ou plus confirmés (le héros, Bastian, est logiquement interprété par l’acteur ayant le plus goûté aux rôles d’envergure), est assez homogène, malgré quelques passages plus hésitants.
Là où le film convainc moins, outre le fait qu’il reste vague sur le moment précis où chaque ado devient adulte (cela dépend du caractère, de l’émotion présente, plus que de l’âge… apparemment), c’est dans son acte central, constitué d’une longue dérive narrative dans un no man’s land désertique. Alone tente alors de dépeindre la naissance d’une relation amoureuse à base de déclarations poétiques et de câlins dans la nuit. L’exécution paraît forcée, et surtout cette chute de rythme abrupte, assez illogique dans un contexte qui ne prête guère aux effusions de romance, fait retomber l’efficacité d’un récit jusque-là impitoyable dans son déroulement. Un passage à vide regrettable, qui ne doit pourtant pas faire oublier la sincérité évidente de cette série B humble, mais pas bête, que Thierry Poiraud souhaiterait maintenant développer en série TV. Après l’île maudite, place au continent ?
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Alone (Don’t grow up)
De Thierry Poiraud
2015 / France-Espagne / 9 minutes
Avec Fergus Riordan, Madeleine Kelly, McKell David
Sortie le 1er avril 2016 en VOD, le 8 en DVD et Blu-ray
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