Plus besoin de le rappeler maintenant : pour les deux du fond qui ne suivraient pas, John Carter (of Mars) est l’un des plus vieux récits modernes de science-fiction, écrit à une époque où le genre même n’avait pas encore de nom. L’immortel auteur de Tarzan, Edgar Rice Burroughs, en est le créateur, dès le début des années 10. Son « Cycle de Mars » aurait dû suivre bien plus tôt le chemin des écrans emprunté par les récits de ses prédécesseurs, de Jules Verne à H.G. Wells. La gloire, l’auteur la connaîtra grâce à son homme-singe, mais John Carter (hum… of Mars) restera lui dans les limbes du plus profond des development hell. Grâce en soit donc rendue à Andrew Stanton, qui fort de l’immense succès critique et public de Wall-E, a pu avoir les coudées franches (et le budget pharaonique) nécessaires pour retranscrire à l’écran la richesse iconographique et thématique de cette saga fondatrice, malheureusement oubliée du grand public.

Culte oui, et alors ?

John Carter (Taylor Kitsch) dans l’arène avec Tars Tarkas (Willem Dafoe).

Oui, Star Wars, Miyazaki, Cameron, Métal Hurlant et un pan entier de la BD de science-fiction sont passés par là depuis la parution des trois tomes de la saga martienne. John Carter a bien ce défaut intrinsèque, cruel mais inévitable, d’arriver au cinéma bien après que les récits qu’il a inspirés soient entrés dans l’inconscient populaire. L’histoire de ce vétéran de la guerre de Sécession, projeté grâce un talisman sur la planète Barsoom (en fait Mars) où il est plongé dans une guerre sans merci entre différents royaumes, est familière. L’apparition de nombreuses espèces étranges comme les Tharks et leurs quatre bras, les adorables Calots ou les énorme Singes Blancs rappelle la faune intergalactique de Lucas ; l’arrivée d’un étranger/référent du spectateur dans un monde dont il ne comprend pas les règles, et qui va finir par l’adopter, évoque forcément Avatar ; la multiplicité des ethnies humanoïdes, leurs guerres de territoire et leurs manigances politiques ont aussi un petit air de Dune. Bref, Stanton hérite de cette mission, logiquement impossible, qu’est la mise en place d’un univers inconnu du grand public mais dont les codes, les personnages, les rebondissements ont tous un air de déjà-vu aux yeux d’un public qui n’a que faire du prestige littéraire de la licence.

C’est donc avec un œil détaché et bienveillant que l’on doit regarder John Carter (à travers le filtre d’une 3D qui en gâche un peu la vision). Andrew Stanton a calqué sa mise en scène sur les possibilités, mais aussi les limites offertes par des CGI photoréalistes. Les plans iconiques de Carter, de la princesse Dejah Thoris, du valeureux Tars Tarkas sont nombreux, mais au sein d’une même scène, le cinéaste ne démontre pas la même vista qu’un James Cameron pour transfigurer ses figures imposées, voire même ses passages les plus cruciaux.

La menace vient de Mars

Cités martiennes, aéronefs étranges, paysages rougeoyants… Une image qui crie SF !

Terrien parmi les Martiens, Carter possède de facto des pouvoirs que ces derniers n’ont pas : il peut s’affranchir de la gravité et voir sa force décuplée. Lorsqu’il se retrouve par exemple confronté à une horde Warhoon (ennemis barbares des Tarkas), seul contre 100, il se confronte à son destin et se lance à corps perdu dans la bataille. Malheureusement, Stanton choisit de surdécouper ce mini-climax, en profitant pour y glisser un flashback malvenu et une ellipse frustrante. Ce genre de choix hasardeux se répète lors de la grande bataille finale, où le statisme des personnages comme du cadre rappellent les plus sombres heures de La menace fantôme. Qu’il réussisse d’autres morceaux de bravoure, comme une poursuite aérienne à couper le souffle ou une lutte titanesque dans une arène qui renvoie la fin de L’attaque des clones dans le néant, n’est qu’un lot de consolation. Stanton, tout perfectionniste qu’il soit, échoue à donner le relief nécessaire (sic) à un récit qui devrait être traité avec une certaine grandiloquence épique.

L’achèvement technique n’est pas en cause ici : avec son énorme budget de 250 milions de dollars, John Carter se paie des effets visuels parfaits, exceptés quelques incrustations hasardeuses (mais cela est peut-être dû à la conversion), et le design de chaque engin, cité, arme ou costume est absolument fabuleux, en plus d’être pensé « pratiquement » – en gros, chaque objet fait vrai parce qu’il est pensé pour appartenir à ce monde et se soumet à ses particularités.

Les vertus de la princesse

La princesse de Mars (Lynn Collins). Elle vaut le coup d’être sauvée, non ?

C’est plus le casting qui hoquette ici, avec un Taylor Kitsch un peu paralysé par l’enjeu, un peu fadasse, ennuyé quand il devrait être ébahi, impassible quand il devrait être galvanisé par ses pouvoirs, et son amour naissant pour la princesse de Mars. Avec un héros auquel il est difficile de véritablement s’attacher, on se reporte alors sur l’héroïne, Dejah Thoris, une princesse à la fois savante, guerrière et d’une beauté estomaquante, à laquelle la révélation Lynn Collins (Bug) prête son physique athlétique. Autour d’eux, Ciaran Hinds, Dominic West et Mark Strong jouent les utilités sans trop se forcer, se révélant moins mémorables que des créatures purement numériques – les Tharks en particulier.

La linéarité prévisible du récit – adapter un feuilleton paru à l’origine en épisodes dans un magazine n’a pas que des avantages – est aussi un handicap dans une telle épopée dépassant les deux heures. De l’exposition à la conclusion (ouverte, forcément), John Carter ne surprend jamais, cochant une à une les cases du récit d’aventures initiatique classique, sans qu’un rouage inattendu ne vienne au détour d’une scène gripper cette ronronnante machine. L’écosystème prétendument complexe de l’univers de Barsoom n’est que maigrement exploité. Malgré son parfum enivrant d’évasion galactique, ses paysages rougeoyants, la perfection méticuleuse de sa direction artistique, John Carter souffre d’être, à sa racine, une histoire archaïque dont les inventions ont depuis longtemps été pillées par la culture populaire. Pour un voyage sur une planète inconnue, il est décevant au final de ne pas être… plus dépaysé.


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]
Troissurcinq
John Carter
D’Andrew Stanton
2012 / USA / 133 minutes
Avec Taylor Kitsch, Lynn Collins, Dominic West
Sortie le 7 mars 2012
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