Peu de réalisateurs français aujourd’hui peuvent se targuer de savoir concilier ambition, audace stylistique et succès public. S’il n’est pas tout à fait reconnu comme une vedette populaire au sens large, Albert Dupontel fait pourtant partie de cette race à chérir : lorsqu’il cumule à la fois les casquettes de metteur en scène, de scénariste et d’acteur, l’auteur de Bernie et Neuf mois ferme accouche presque à coup sûr d’un film unique, ou en tout cas événementiel. C’est peu dire que la formule sera adaptée à son nouveau projet, qui le voit reprendre ces trois casquettes pour la première fois depuis quatre ans et la réussite de sa comédie judiciaire.
Des tranchées aux Années Folles
Génie de la comédie grinçante, apôtre d’un humour noir anarchiste et cartoonesque, Dupontel change complètement de monde, ou presque, avec Au revoir là-haut, adaptation du roman de Pierre Lemaître auréolé en 2013 du Prix Goncourt, sur laquelle il travaille depuis trois ans. L’action débute durant les derniers jours de la Première Guerre Mondiale, alors que le destin de trois personnages est bouleversé à l’issue d’une dernière bataille. Il y a le jeune Édouard (Nahuel Perez Biscayart, 120 battements par minute), l’une de ces gueules cassées que les Français ne veulent pas voir ; Albert (Dupontel), un « loser magnifique » qui doit la vie à son compagnon d’armes et prépare une énorme escroquerie ; et Pradelle, leur lieutenant (Laurent Lafitte, plus charismatique quand il joue les ordures), qui fait fortune sur le dos des morts. Plutôt que la guerre, ce sont les lendemains de victoire qui sont au centre du roman de Lemaître, et notamment le début des Années Folles, dont l’atmosphère insouciante tranche brutalement avec le traumatisme vécu par les survivants du conflit.
[quote_right] »Au revoir là-haut promet une mise en scène virevoltante et un mélange des genres sans compromis. »[/quote_right]Plusieurs projets d’adaptation au cinéma étaient dans les tuyaux depuis le succès du roman (passé par la case BD en 2015, par ailleurs), mais c’est sur celui de Dupontel que Lemaître a décidé de s’investir : il est crédité comme coscénariste de ce projet à gros budget, porté par Gaumont, et pour lequel Dupontel annonce quelques changements narratifs, notamment dans la conclusion du récit. Au vu de la (splendide) affiche et du premier teaser ébouriffant révélé ci-dessous, il est clair que le réalisateur a en tout cas embrassé le caractère romanesque, lyrique et inquiétant de l’histoire à bras-le-corps. À mi-chemin entre le Scorsese de Hugo Cabret, Franju, Terry Gilliam, Alex de la Iglesia et Jean-Pierre Jeunet (on pense entre autres à l’opulence picturale d’Un long dimanche de fiançailles, dans lequel l’acteur avait un petit rôle), Au revoir là-haut promet une mise en scène virevoltante et un mélange des genres sans compromis. La figure du masque (celui qui cache les blessures, mais aussi les véritables intentions de chacun) semble être au centre d’un film à l’ambition inédite ces temps-ci, en tout cas dans notre cher Hexagone. Au casting figurent également Emilie Dequenne, Niels Arestrup ou encore Mélanie Thierry. La sortie est prévue dans nos salles le 21 octobre.
Avis aux impatients : comme il l’avait fait pour Neuf mois ferme, Albert Dupontel présente depuis plusieurs semaines le film en avant-première en province, ajustant apparemment son montage au fil des retours de l’audience. Qui a dit perfectionnisme ?