Parcourir les travées d’un festival le lendemain d’une clôture officielle, ça ressemble à un lendemain de cuite en plus studieux. Dimanche 3 avril, Beaune s’est déjà vidé de ses photographes, de son glamour et de ses invités. Le palmarès rendu samedi soir par Sandrine Bonnaire et ses pairs, il ne reste que le tapis rouge et les affiches placardées sur le cinéma pour nous rappeler que, oui, il restait encore des films à voir dans cette quatrième et ultime journée au pays du polar.
Beaune, comme il nous l’avait promis, nous a fait voyager aux quatre coins du monde. Pas un seul film ou presque ne se déroulait dans la même contrée, et les thèmes abordés auront été des plus divers. Pour cette dernière fournée de longs-métrages, nous sommes ainsi partis au Chili avec Tout va bien, en Italie, avec Lea, en Autriche avec One of Us, dans la Chine rurale avec What’s in the darkness et enfin aux USA, avec le futur DTV L’affaire Monet. Un tour du globe express, qui a débouché sur des réussites diverses, surtout dans la catégorie « Sang Neuf », mais qui nous a rassasié pour de bon… en attendant une édition 2017 cette fois annoncée dès la cérémonie de clôture. Plus de suspense, le rendez-vous est d’ores et déjà fixé à mars prochain. Et vu qu’il a pris ses quartiers à deux pas des salles, nul doute qu’on y croisera encore à chaque séance le « parrain » des lieux, Claude Lelouch… !
Tout va bien
Après avoir décortiqué, il y a deux ans, les mécanismes psychologiques à l’œuvre chez un homme ayant décidé de rendre la justice lui-même, dans le bien-nommé Tuer un homme, le réalisateur chilien Alejandro Fernandez Almendras s’est cette fois attaqué à la machine judiciaire de son pays. Dans Tout va bien, il s’accroche aux basques d’un jeunot oisif, Vicente, qui tue le temps en faisant la fête et en prenant le soleil sur la plage. Durant une soirée sauvage, après avoir dragué un couple de filles et bu en masse des litres d’alcool, il se retrouve témoin quasi-inconscient d’un accident mortel. Tous ses pseudo-amis affirment qu’il était au volant – ce qui est faux. Et Vicente, persuadé que la vérité suffira à l’innocenter, n’entend pas les inquiétudes de son oncle avocat ou de sa mère. Le conducteur est le fils d’un millionnaire, et nous sommes au Chili : tout ne va vraiment pas bien. Tiré d’un fait divers réel, Tout va bien ausculte la lente prise de conscience d’un innocent naïf, victime en puissance, de sa propre passivité d’une part, mais aussi d’un système corrompu jusqu’à l’os. Le réalisateur prend son temps pour parfaire sa démonstration, jouant entre autres avec des inscriptions textuelles à l’écran (SMS, citations, tweets). Mais quand la mâchoire de l’engrenage se referme finalement d’un coup, le choc fait mal aux sens et à l’esprit.
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Tout va bien (Aqui no ha pasado nada)
D’Alejandro Fernández Almendras
2016 / France / Chili / Etat-Unis / 117 minutes
Avec Agustín Silva, Li Fridman, Paulina García
Sortie le 21 septembre 2016[/styled_box]
What’s in the darkness
Sélectionné au dernier festival de Berlin, What’s in the darkness faisait partie des curiosités de la sélection beaunoise : une œuvre inclassable venue de Chine, premier film de la réalisatrice Wang Yichun tourné avec un budget serré à partir de ses propres souvenirs d’enfance. À voir le film, on comprend pourquoi les financements étaient durs à trouver. Faute de meilleure comparaison, What’s in the darkness rappelle dans un premier temps Memories of Murder. Nous sommes dans une communauté rurale des années 90, perturbée par une série de crimes à caractère sexuel sur des jeunes filles, rendue encore plus révoltante par l’inaction flagrante de la police en charge de l’enquête. Il apparaît bien vite que ce point de départ est un simple prétexte pour Yichun, un subterfuge thématique pour plonger dans les arcanes d’une société dont elle va disséquer les contradictions. La véritable héroïne de l’histoire est en fait Jing, la fille d’un des policiers vaniteux et calamiteux en question. Jing découvre l’adolescence, la sexualité, la rébellion et la fascination pour le modèle de liberté que représente sa camarade de classe plus âgée, Zhang. Cette évolution est vue à travers le prisme déformant d’une société cadenassée de l’intérieur, à l’école ou au commissariat, par des valeurs hypocrites et une répression morale à deux vitesses. Plus cérébral que démonstratif, What’s in the darkness niche ses messages et ses prises de position dans ses détails, ses scènes moins superflues qu’elles n’en ont l’air. Maîtrisé, mais assez hermétique, le film explore de nombreuses directions, mais nous laisse le plus souvent planté au milieu du carrefour, aussi désorienté que peut l’être son héroïne.
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What’s in the Darkness
De Yichun Wang
2014 / Chine / 102 minutes
Avec Su Xiaotong, Lu Qiwei
Sortie inconnue[/styled_box]
Lea
Lea a épousé dans les années 80 un membre de la mafia. Quelques années plus tard, elle le quitte, en compagnie de sa fille Denise pour lui offrir une vie éloignée de la violence. Or, en Italie, briser les règles de la Mafia convient à signer son arrêt de mort. Mais, comme toutes les femmes décrites dans le film de Marco Tullio Giordana (Nos meilleures années), Lea est une forte tête, qui se battra, tout au long de sa vie pour sauver le destin de sa fille. Entre solidarité familiale, protection des témoins et vie dans la rue, jusqu’au milieu des années 2000, sa vie d’errance vire parfois à l’enfer. Marco Tullio Giordana filme ici de manière toutefois un peu trop conventionnelle une leçon de courage et d’espoir, portée par une héroïne des temps modernes.
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Lea
De Marco Tullio Giordana
2015 / Italie / 102 minutes
Avec Vanessa Scalera, Linda Caridi, Alessio Praticò
Sortie 5 octobre 2016[/styled_box]
L’affaire Monet
Peut-être le plus grand malentendu du Festival de Beaune, cette année, L’Affaire Monet ou The Forger, met en scène John Travolta en mode « je paye mes impôts en enquillant les nanars façon Nicolas Cage ». Philip Martin (Tunnel, Hercule Poirot) commet une incroyable erreur de casting en plaçant Travolta dans le rôle d’un père, ancien faussaire, obligé de reprendre du service pour sortir de prison et rester avec son fiston malade. Rien que l’idée que son personnage, virtuose du pinceau, se prenant pour Paul Gauguin prête invariablement à sourire ! D’autant plus que l’absence totale d’implication de l’acteur Pulp Fiction donne l’impression d’un éléphant dans un magasin de porcelaine. Le scénario plat, voire idiot, aux ressorts attendus et sans surprises, nous donne à voir d’une part la reproduction à l’identique de La Promenade de Paul Monet en seulement quelques jours par Travolta, passablement inspiré. D’autre part, nous assistons consternés à la scène de braquage la plus bâclée de l’histoire du cinéma. Tant de relâchement nous inspire un regret, car si Christopher Plummer semble aussi désintéressé que son acolyte, le sympathique Tye Sheridan (Mud), 20 ans à peine, vient se corrompre avec beaucoup de sincérité dans ce piège à quatre sous.
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L’affaire Monet
De Philippe Martin
2015 / Etats-Unis / 92 minutes
Avec John Travolta, Christopher Plummer, Tye Sheridan
Sortie le 19 octobre 2016 en DVD et Blu-Ray[/styled_box]
One of us
C’est une idée comme une autre : l’autrichien One of us est un film qui traite avant tout de l’ennui. Vous avez dit peu engageant ? Inspiré d’un fait-divers, le film relate les événements qui ont conduit à la mort de Julian, un jeune adolescent de 14 ans qui s’était introduit dans un supermarché, la nuit, avant de se faire surprendre par la police. Le réalisateur et scénariste débutant Stephan Richter tripe avec obsession sur les linéaires du supermarché en question, à grand renfort de travellings interminables et surtout répétitifs. Des personnages peu attachants sont présentés : un directeur de supermarché cardiaque, un jeune employé qui lorgne sur sa « vie d’avant » de dealer, celle des jeunes désœuvrés sur le parking tuant le temps en commettant de petits larcins et en fumant quelques joints. De bout en bout, le réalisateur cherche à créer un certain malaise, mais il ne récolte que de la lassitude. Quant au climax du film, comprimé sur les dernières minutes du métrage et mis en scène avec une maigre inspiration, il vient donner un sens, pour notre plus grand soulagement, à ce long moment de solitude. Plutôt qu’un film engagé qui dénonce une bavure policière dans les moindres détails, façon Fruitvale Station, auquel on aurait pu s’attendre, One of us prend la forme d’un pamphlet sans argument et déjà daté contre les forces de l’ordre et la société de consommation.
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One of us
De Stephan Richter
2015 / Autriche / 94 minutes
Avec Jack Hofer, Simon Morzé, Christopher Schärf
Sortie inconnue[/styled_box]