The Complex marque le retour attendu de Hideo Nakata au genre qui a fait sa gloire il y a déjà une quinzaine d’années : le film de fantômes. Avec Ring, puis surtout Dark Water, son œuvre la plus complète, la plus riche esthétiquement et thématiquement, Nakata a initié une vague cinématographique nippone tellement surexploitée qu’elle l’a rapidement poussé à aller vers d’autres horizons. Que ceux-ci soit américains (Le Cercle 2, Ch@troom) ou purement commerciaux (le troisième volet de la saga Death Note), la plupart de ses derniers essais n’ont pourtant pas réussi à confirmer sa réputation de maître du fantastique, malgré des hommages répétés – et notons-le, mérités – d’un festival à l’autre. Logique, donc, que The Complex intrigue, puisque l’histoire nous amène dans un territoire familier : un immeuble de banlieue, un lourd secret lié à un passé traumatique, des esprits en colère et une terreur qui s’enracine dans les décors les plus familiers. La sauce prend-t-elle pour autant, comme au bon vieux temps ?
Asaka est une jeune infirmière qui emménage pour ses études avec sa famille dans le grand ensemble Kuroyuri. Malgré sa joie de vivre et son entrain, son quotidien ne tarde pas à se dérégler quand elle entend depuis sa chambre des grattements bizarres venant de l’appartement voisin. Elle est loin de se douter que sur le palier d’en face, une personne âgée et seule vient de décéder. Petit à petit, le monde d’Asaka s’écroule, la réalité s’effrite et les souvenirs d’un passé refoulé remontent à la surface…
L’impossible deuil
Impossible de nier que Nakata possède une voix à part dans le cinéma japonais, qui nous empêche de lui accoler l’étiquette de petit malin un brin cynique et de le mettre dans le même panier qu’un Takashi Shimizu (The Grudge). L’histoire de The Complex a cette qualité de ne pas chercher la facilité et le frisson facile qu’on attend du réalisateur. Au contraire, même : en adoptant dès les premières minutes un rythme languissant et des scènes anodines, Nakata pose aussi les bases d’un récit en trompe-l’œil, moins innocent qu’il n’y paraît. Il y a bien sûr un twist dans cette histoire (facile à griller au détour d’une réplique, très tôt dans le film), qui arrive à mi-parcours et nous entraîne, ô surprise, dans une douloureuse introspection et prépare un troisième acte lui aussi inattendu. Problème, ce twist-là n’a rien d’original, et il sert un propos surexplicité sur les notions de deuil (un thème primordial au Japon), de pardon et de rédemption. Asaka n’est pas infirmière par hasard, et le vieil homme, qui est mort seul et vient la tourmenter, agit moins comme une menace que comme le déclencheur d’un parcours psychologique révélant des traumas assez costauds.
Bref, The Complex possède une certaine profondeur, ce qui était le moins qu’on puisse attendre d’un auteur aussi complet que Nakata. Celui-ci n’a d’ailleurs pas perdu la main pour composer, à l’intérieur d’une même scène, une succession de plans dont le caractère anodin est à chaque fois contrebalancé par l’irruption d’un élément inattendu (la visite de l’appartement du vieil homme est un bon exemple de cette technique éprouvée). Problème, bis, The Complex n’apporte rien de neuf à cet « univers » déjà exploité à son plein potentiel dans Dark Water, dont certains ressorts sont ici repris sans vergogne. Le but dans le film n’est pas de savoir s’il y a des fantômes, mais plutôt qui n’en est pas un.
Une lente descente aux enfers
[quote_left] »Le but dans le film n’est pas de savoir s’il y a des fantômes, mais plutôt qui n’en est pas un. »[/quote_left]Même si l’on sait qu’à la manière de Romero avec ses zombies, les esprits malveillants sont plus un moyen qu’une fin en soi pour Nakata, cette familiarité anachronique associée au rythme vraiment lymphatique du récit (à l’image d’une héroïne aussi impassible que tête-à-claques) rend The Complex assez fatigant. L’interprétation d’Atsuko Maeda, chanteuse pop passé actrice, n’aide pas non plus à se prendre d’affection pour son personnage. Le pompon est atteint lorsque Nakata introduit en pure perte un personnage d’exorciste qui souffle sur les murs ou prépare des rituels avec une assemblée de figurants ahuris, au cours d’un dernier acte versant pour de bon dans le fantastique. Là, on retrouve les éclairages agressifs caractéristiques du réalisateur, sa propension à rendre maléfiques les bouilles les plus innocentes, au cours d’un final qui pompe en passant sans vergogne Jusqu’en enfer. L’épilogue achève de nous faire comprendre que The Complex était moins un film d’épouvante pur et dur qu’un portrait de femme perdant pied avec la réalité. Déroutant, donc, mais surtout décevant, une fois de plus, de la part d’un cinéaste qu’on aura connu plus subtil et efficace par le passé.
Note BTW
De Hideo Nakata / 2013 / Japon / 106 minutes
Avec Atsuko Maeda, Hiroki Narimiya, Masanobu Katsumura
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