Big Bug : Jeunet en mode erreur 404
Comédie criarde et paresseuse sur un futur domotisé, Big Bug est une incontestable sortie de route pour Jean-Pierre Jeunet.
Dix ans ou presque qu’il était absent des écrans. Et même s’il revient sur le « petit », Jean-Pierre Jeunet était attendu au tournant avec ce Big Bug, qui marque sa première collaboration avec Netflix, sur la base d’un scénario que, selon l’intéressé, tous les producteurs français avaient refusé. Retournant semble-t-il à ses racines avec une histoire au décor quasi-unique (comme Delicatessen) pleine de robots et de gadgets étranges (comme La cité des enfants perdus), Jeunet livre pourtant un long-métrage bien éloigné de ses standards de qualité. Un film plutôt laid et grotesque où plus de soin a été apporté au design du décor et des accessoires qu’au script et à l’interprétation.
Jeunet a imaginé dans Big Bug le futur en 2045. Un avenir saturé de couleurs aux lignes architecturales rétro, voire Art déco, dans lequel les vestiges de notre époque seraient vénérés comme des objets vintage, mais où les robots et l’intelligence artificielle auraient pris une place prépondérante dans notre vie. Un futur à la Wall-E ou Futurama, donc, mais sous sa face franchouillarde. L’action se déroule au cœur d’un quartier résidentiel, dans la maison d’Elsa Zylberstein (en mode cocotte-minute hystérique), qui tout en étant courtisée par un fielleux Stéphane de Groodt (énergique, mais lui aussi mal dirigé), se retrouve enfermée avec son beau-fils, sa fille, son ex-mari (l’excellent Youssef Hadji) et sa pimbêche de compagne (Claire Chust, la mémorable bimbo de Problemos), ainsi que sa voisine (Isabelle Nanty) dans la maison, alors qu’éclate une révolte robotique. Cloné à l’infini, le modèle Yonyx (François Levantal en proto-Robocop dégarni au sourire méga-Brite) a décidé de prendre le pouvoir sur les humains…
Robotiquement vôtre
La partie du jeune public qui découvrira avec une certaine inconscience Big Bug au détour d’une recommandation Netflix pourra se demander ce qui vaut à Jean-Pierre Jeunet d’être un réalisateur aussi réputé en France. Incontestablement vieillot dans ses thèmes, dans sa narration épisodique tellement arythmique que le cinéaste clôt une bonne partie de ses scènes avec des fondus au noir inutiles, Big Bug constitue également une sacrée épreuve visuelle et tonale, et ce dès ses premières minutes. Jeunet a eu l’idée, louable, de construire son décor en dur et d’innover avec son équipe pour donner vie à un futur domotisé à l’extrême, où le passé est mis sous cloche et la moindre tâche quotidienne est effectuée automatiquement ou par un droïde domestique (la pauvre Claude Perron, grimaçante et le visage constamment déformé par les gros plans en grand angle qu’affectionne le réalisateur). Ce côté tangible et palpable, y compris dans le domaine des animatroniques, donne du relief au film – le robot Einstein, mis en voix par André Dussolier est une impressionnante réussite. Mais cette technicité est mise au service d’une direction artistique criarde et kitsch au possible, au diapason d’un casting en surjeu qui semble lutter pour créer du sens à partir d’un scénario chaotique au possible.
« Infantile, mais scabreux, hystérique, mais lymphatique, beauf, mais ambitieux, Big Bug a tout du projet conçu en roue libre. »
Il devient vite évident que que le cœur de Jeunet balance plus pour ses gentils robots, avides d’apprentissages et d’entraide, que pour ses vils humains, pleutres de carnaval obsédés par le sexe qui n’hésitent pas à s’humilier eux-mêmes pour survivre (dans une scène au ralenti d’une gênance infinie). Fort de constat rapide, le temps finit par passer plus lentement. Parce que ses personnages sont unidimensionnels (la gourde jouée par Claire Chust le reste jusqu’au bout, entre autres) et prévisibles, l’ennui s’installe irrémédiablement dans Big Bug. Surtout, il devient compliqué de comprendre à qui le film s’adresse : infantile, mais scabreux, hystérique, mais lymphatique, beauf, mais ambitieux, Big Bug a tout du projet conçu en roue libre, sans entrave, mais aussi sans garde-fou salvateur. Une sortie de route bizarre et sans gloire, dont il est à espérer que Jeunet se relèvera avant les neuf prochaines années.