The Green Knight : d’une beauté à perdre la tête

par | 15 février 2022 | À LA UNE, Critiques, VOD/SVOD

The Green Knight : d’une beauté à perdre la tête

Conte moral plus qu’odyssée fantasy, The Green Knight troque le souffle de l’aventure contre une méditation visuellement fabuleuse sur la mort et l’héroïsme.

Bien que les films de David Lowery aient déjà connu le destin d’une sortie directe en vidéo (The Old Man And The Gun, avec Robert Redford, est uniquement visible sur Amazon Prime Video en France), le tumultueux parcours médiatique de The Green Knight a débouché sur une cruelle désillusion. Plus encore que ses autres longs-métrages, l’aventure arthurienne de Lowery méritait mieux qu’une distribution exclusive sur Prime. La faute à son distributeur américain A24, coupable de vendre les droits de son bébé à un prix délirant, à un marché post-Covid encore trop incertain pour tenter le coup d’une sortie salles ? Le destin aura en tout cas été sans pitié avec The Green Knight. Un film qui se plaira à laisser pas mal de ses spectateurs sur le carreau, mais qui aurait subjugué plus d’un œil innocent en étant découvert sur écran large, tant sa plastique digne des enluminures médiévales constitue à elle seule une expérience métaphysique.

Héros, mais pas trop

The Green Knight : d’une beauté à perdre la tête

Parmi les multiples récits et contes chevaleresques du mythe arthurien, celui de Sire Gauvain et le Chevalier vert n’est pas le plus connu, loin de là. Ce roman-poème anglais de la fin du XIVe siècle s’éloigne de fait de la geste chevaleresque habituelle pour digresser de manière plus symbolique et philosophique sur les notions d’héroïsme et d’honneur. L’histoire est celle de Gawain (Dev Patel, tout en tension et en panique intérieure), un pas-encore-chevalier de la cour du roi Arthur (excellent Sean Harris), dont il est le neveu, et qui après une nuit d’ivresse de plus avec sa fille de joie bien-aimée (Alicia Vikander) arrive en retard à un banquet royal. La fête est interrompue par un chevalier monstrueux, mi-homme mi-arbre, qui depuis son destrier vert lance un défi aux chevalier de la Table ronde. Il propose un « jeu », qui consiste à lui porter un coup : mais un an plus tard, les rôles seront inversés. Avide de prouver sa valeur et son courage, Gawain, s’avance armé d’Excalibur… et tranche la tête du chevalier vert. Mais celui-ci se relève, ramasse sa tête et s’enfuit en riant. Un an plus tard, Gawain est donc face à son étrange destin : il doit partir dans une quête héroïque… vers une mort certaine.

« Un choc visuel imparable délivré par un cinéaste cherchant visiblement à exorciser quelques démons. »

Le teaser de The Green Knight, parce qu’il misait sur un savant enchaînement de plans formidablement évocateurs (et le film en est plein) tirant ouvertement vers la medieval fantasy, avait excité la toile comme jamais. Il n’est pas difficile d’imaginer la réaction des fans du genre en découvrant ce qui s’apparente plutôt à un prolongement thématique et conceptuel de A Ghost Story du même Lowery. Si le réalisateur avoue être fan de classiques des années 80 comme Excalibur et Willow, son style n’a rien de commercial. The Green Knight est ainsi moins une aventure qu’une méditation languissante, mortifère, inconfortable sur notre condition de mortel, certes, mais aussi sur la fabrication du mythe, sur les éléments constitutifs de l’héroïsme. Comme dit le personnage d’Alicia Vikander, « être une bonne personne ne suffit-il pas ? ». Faut-il avant tout être courageux et accepter, comme le fait Gawain, jeune homme naïf et faussement brave, de chevaucher, seul, vers son trépas, pour le simple but d’être fidèle à sa parole et à un intangible honneur chevaleresque ? Cette absurdité fondamentale, incompréhensible pour l’homme moderne, est au cœur d’une œuvre qui prendra le temps, comme toute bonne odyssée, de multiplier les épreuves et étapes révélatrices avant de parvenir à sa redoutée destination.

Un voyage transcendantal

The Green Knight : d’une beauté à perdre la tête

Sur sa route, Gawain rencontrera des brigands de grand chemin, le fantôme d’une femme violée, un renard parlant (Lars Von Trier, es-tu là ?), des géants ou un couple de châtelains étranges (Joel Edgerton et Alicia Vikander, à nouveau)… Autant de chapitres repris du roman originel, que David Lowery met en scène avec le même soin maniaque, la même capacité à créer une sensation de découverte merveilleuse teintée de profond désenchantement. The Green Knight peut se prêter à de multiples analyses, car le long-métrage est avant tout un enchevêtrement de symboles, d’énigmes enchâssées dans des fausses pistes – le dernier et somptueux quart d’heure en est une preuve évidente. Mais ce qui marque avant tout les esprits, ce qui cloue au siège tout en restant sans pitié pour les spectateurs impatients, c’est justement cette incroyable mise en scène.

Beau à en rêver éveillé, The Green Knight a quelque chose d’irréel dans sa magnificence géométrique et opulente, le film louvoyant entre réalisme médiéval à la lumière rasante et cadres chatoyants aux allures d’estampes hors du temps. Lowery multiplie les travellings délayés ou circulaires (dont l’un, mémorable, imagine une possibilité de fin macabre pour Gawain), épouse l’immensité de ses paysages irlandais ou l’étouffante étrangeté de ses décors de forêts et de châteaux dépeuplés, multiplie les trouvailles visuelles dès le premier plan… Mais il ne cède jamais à la facilité de l’épopée enivrante. Pas le genre de la maison. Son héros est un témoin passif et fuyant de sa propre vie, son antagoniste, un simple instrument de la Mort. L’accomplissement du chevalier Gauvain ne passera pas par un fait d’armes (décapiter un adversaire sans défense peut-il être qualifié ainsi ?), mais par un état d’esprit différent, une forme de paix intérieure et d’acceptation après laquelle courait également le fantôme de A Ghost Story. De quoi nourrir notre réflexion après avoir encaissé le choc visuel imparable délivré par un cinéaste cherchant visiblement à exorciser quelques démons – il est d’ailleurs parti depuis titiller un mythe tout à fait différent, Peter Pan, chez Disney !