Sorti en 1999, et resté pendant longtemps le film indépendant le plus rentable de tous les temps (c’était avant que ne sorte le plus fauché encore Paranormal Stupidity), Le projet Blair Witch est un prototype unique de film culte, dont les qualités sont inversement proportionnelles à l’influence qu’il a exercé sur une génération. Daniel Myrick et Eduardo Sanchez ont prouvé à l’époque, et sans démontrer un talent visionnaire de cinéaste à la Sam Raimi ou Peter Jackson, qu’il était possible de réaliser un film sans budget, sans décor et de manière pratiquement amateur, et de le voir sortir en salles pour devenir l’un des premiers succès viraux de l’histoire d’Internet. Revoyez-le aujourd’hui avec le recul d’une décennie où le found footage, devenu le pis-aller d’une myriade de producteurs avares et avides d’argent facile, a envahi le marché de la série B et Z : malgré sa courte durée, Le projet Blair Witch fait figure de vestige archéologique, un truc daté et laborieux qui ne tient debout que par le principe de vérisimilitude appliqué aux comédiens jouant simplement leur propre rôle.
Blair Witch, qui n’a pas été aidé dans la construction de sa mythologie par une séquelle calamiteuse, est donc entré rapidement, malgré tout, dans le langage commun. C’est un point de repère essentiel dans un sous-genre particulièrement difficile à défendre, puisqu’il abandonne généralement toute idée de mise en scène pour se reposer paresseusement sur des effets choc, à base de saturation sonore et d’apparitions subites dans le champ. Normal, donc, qu’un studio comme Vertigo, déjà à l’origine de remakes et apparentés aussi nécessaires que Rings, Old Boy, Poltergeist et En quarantaine, s’attaque en catimini (le film s’est appelé The Woods jusqu’à sa projection au Comic Con américain) à une réactualisation de Blair Witch, avec la caution « arty horror » d’un duo en pleine ascension, à savoir Adam Wingard et Simon Barrett.
Moteurs, caméras… malédiction !
Le réalisateur et le scénariste des excellents You’re Next et The Guest n’ont pas uniquement travaillé dans leur jeune carrière sur des séries B référencées et plastiquement audacieuses. Le duo s’est aussi fait remarquer par sa participation à la franchise V/H/S, une anthologie assez insupportable de sketches en mode found footage, justement, qui se rattrapait en partie dans un second opus traversé de quelques fulgurances (comme le court apocalyptique ultra-gore de Gareth Evans). C’est dans l’optique de respecter l’esthétique chaotique et tremblotante de l’original qu’ils se sont embarqués dans un remake/reboot à moitié assumé, qui vise à étendre les ramifications de l’univers créé par Myrick et Sanchez (ici co-producteurs), mais se borne surtout à « mettre à jour » le scénario du film de 1999, techniquement comme narrativement.
[quote_center] »Le pillage éhonté de nombreux titres fantastiques nous file des frissons de honte. »[/quote_center]
L’histoire se déroule près de 20 ans après les événements du premier film : James Donahue, qui n’est pas le vrai frère de l’actrice Heather Donahue mais James Allen McCune (ah ah), ne s’est jamais remis de la disparition inexpliquée de sa sœur dans la forêt de Blair. Avec son meilleur ami et leurs copines, ils partent après la découverte d’un film amateur dans le fameux bois maudit, pour retrouver la trace de Heather et ses amis, ou au moins savoir pourquoi ils ont disparu. Devinez quoi ? Sitôt arrivés dans la forêt, des événements inexpliqués perturbent le petit groupe : perte d’orientation, nuits prolongées, bruits menaçants et totems en bois installés là sans explication… La malédiction de la sorcière qui hante ses lieux reprend ses droits, et va s’abattre sur eux avec violence.
La nuit de toutes les arnaques
C’est peu dire que l’impression de déjà-vu domine à la vision de Blair Witch, et pas parce que ces sentiers ont déjà été foulés au siècle dernier par Sanchez et sa bande. Wingard et Barrett s’efforcent de donner de la consistance à leur narration, pourtant. Ils exploitent l’incompréhension des spectateurs devant la fin du film original (pourquoi Mike devait-il rester debout devant le mur ?), introduisent des boucles temporelles, une dimension quasi-SF, se montrent plus explicites… Mais le film n’est jamais rien de plus qu’un énième représentant d’un genre asphyxié jusqu’à l’os par des hordes de copistes sans imagination. Wingard était attendu au tournant sur ce point, pour ce qu’il pouvait apporter de nouveau à ce style de mise en scène heurté, qui repose sur l’identification supposée du spectateur aux personnages (nous voyons ce qu’ils voient) mais pâtit de la subjectivité forcée d’une caméra prisonnière de son possesseur. Tout ce à quoi nous avons droit, c’est un drone qui brille joliment dans la nuit par son inutilité, et des mini-caméras blue tooth qui ne rendent pas le montage plus lisible – à croire que les crânes des acteurs sur lesquels sont vissés ces caméras sont montés sur ressorts.
Soit, les personnages en carton-pâte (on vous met au défi de vous souvenir du nom d’un seul des personnages 24 h après la séance), le scénario cousu de fil blanc et la caméra hystérique étaient des éléments plus ou moins redoutés à la base. La réputation sur laquelle tient Blair Witch repose sur sa faculté à nous faire peur. Force est de constater que de ce point de vue là aussi, le film est parfaitement raté ! Passé une scène bien remuante à base de toiles volantes, Wingard tente d’enclencher la cinquième lors d’un dernier acte pluvieux et anxiogène qui pourrait passer pour une expérience VR interactive scénarisée par Hideo Kojima. Le film compte sur notre perte de repères, l’accumulation de portes qui claquent et de jump scares pour nous tester : mais c’est surtout le pillage éhonté de nombreux titres fantastiques, des Silent Hill à REC en passant par The Descent, qui nous file des frissons de honte à ce moment. C’est à ce moment que la déception se mue en regret puis en colère sourde : malgré ses belles ambitions, son marketing malin et les promesses de ses auteurs, Blair Witch est bien une arnaque de plus à rajouter sur l’ardoise déjà chargée du found footage.
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Blair Witch
D’Adam Wingard
2016 / USA / 92 minutes
Avec James Allen McCune, Callie Hernandez, Corbin Reid
Sortie le 21 septembre 2016
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