Bugsy Malone : de grands petits gangsters

par | 4 décembre 2014

Quand le réalisateur de The Wall et le compositeur de Phantom of the Paradise se rencontrent, cela donne Bugsy Malone, comédie musicale pleine de petits gangsters.

Le Britannique Alan Parker et l’américain Paul Williams ont sûrement peu de choses en commun. Ils ont toutefois bâti une partie de leur réputation respective sur des comédies musicales : Pink Floyd’s The Wall, Fame et Les Commitments (bon, ok, il s’agit plus d’un film à propos de musiciens) pour le premier ; Phantom of the Paradise et les films Muppets pour le second. Les voir collaborer en 1976 sur un film avait quelque chose de logique, même si Parker, alors avant tout connu comme publiciste, n’en était qu’à son premier long-métrage.

Un concept unique en son genre

Bugsy Malone, appelé chez nous Du rififi chez les mômes (traduction sympathique mais un peu surannée que personne n’utilise finalement pour parler du film), est au départ un scénario dont Parker a eu l’idée en inventant une histoire à la Al Capone pour ses enfants. Pour ses débuts au cinéma, le Londonien a l’idée brillante de bâtir un film de gangsters rétro (Le Parrain et sa suite sortent au même moment) qui serait intégralement joué… par des enfants, se comportant comme de vrais adultes. Pour bien souligner la nature fantaisiste d’un projet aussi original que risqué, Parker en fait une comédie musicale, dont il va confier la partie mélodique… à Paul Williams, dont il a apprécié le travail sur le chef d’œuvre de Brian de Palma, nominé à l’Oscar de la meilleure bande originale cette même année.

Quasi intégralement tourné dans les studios de Pinewood, Bugsy Malone plonge dès les premiers instants le spectateur dans un décor familier, cliché, de ruelle new-yorkaise plongée dans une semi obscurité. Prohibition, ruelles mal famées, barbier apeuré, effeuilleuses fatales, police aux abois… tous les ingrédients du film de gangsters sont réunis, à part un : les personnages sont interprétés par des pré-ados hauts comme trois pommes ! Ils jouent aux policiers et aux truands avec le panache et l’inconsciente dérision de jeunots biberonnés aux rediffusions du premier Scarface et des films de Bogart. L’histoire est d’une simplicité biblique : une guerre est déclarée entre Fat Sam (John Cassisi), gérant d’un club clandestin, et le moustachu Dan le Dandy (Martin Lev), dans laquelle se trouve embringué le fringant Bugsy Malone (Scott Baio), partagé entre ses deux amours, Tallulah (Jodie Foster) et Blousey (Florrie Dugger).

Sérieuse dérision

Si cette intrigue évoque une quelconque série B de l’Âge d’or de Hollywood, le twist apporté par Parker transforme le film en un objet unique, à la fois saugrenu et irrésistible, qu’il s’agisse d’adapter le décorum du genre à l’âge de ses interprètes (les mitraillettes « camembert » deviennent ici de redoutables canons à tartes à la crème, les voitures rutilantes des caïds sont à pédale, les cocktails sont à base de sirop) ou de donner un aspect légèrement cartoonesque à leurs mésaventures – Bugsy Malone évoque étrangement sur ce point le futur Roger Rabbit, qui détourne lui aussi avec une énergie enfantine les clichés du polar. Grâce aux décors somptueux bâtis en studio par une équipe technique qui faisait ses débuts dans le 7e art (certains deviendront les collaborateurs réguliers de Parker), et au rythme endiablé avec lequel Parker entremêle ses intrigues, Bugsy Malone dépasse rapidement son statut, limité, de curiosité. Si l’atmosphère du film est forcément légère (et heureusement, vu que des ados de douze ans parlent tout de même de règlements de comptes et s’échangent de chastes baisers), le film n’est pas plus idiot qu’il ne devrait. Parker dirige son casting avec la même précision que s’il s’agissait d’adultes, et ce sérieux fait toute la spécificité de son œuvre – il est bon de souligner que, Les cendres d’Angela mis à part, aucun film de Parker ne comportera de personnages principaux d’enfants par la suite.

Mais ce qui a permis à Bugsy Malone de passer le test des années, au point d’être l’un des films les plus diffusés dans les collèges anglais, c’est, d’une part, la qualité de son casting. Parker aura passé un an à réunir les interprètes idéaux pour son pastiche fort en crème. Souvent montrée comme la tête d’affiche, Jodie Foster, qui du haut de ses 13 ans avait déjà une solide carrière d’enfant star chez Disney, n’a ici qu’un second rôle tout en paillettes de meneuse de revues jalouse. Scott Baio, qui trouvera le succès avec les séries Happy Days et Charles s’en charge, fait lui une belle impression dans le rôle-titre, typiquement américain, du héros mi-voyou mi-séducteur, ici ramené à son essence : celui d’un garnement en quête de liberté. Il est plus regrettable, comme le souligne Jean-Pierre Dionnet dans la belle édition vidéo concoctée par Elephant Films, que le reste du casting n’ait pas envisagé une véritable carrière artistique. John Cassisi en particulier, inoubliable et infatigable Fat Sam, se reconvertira à l’âge adulte… dans la construction.

Musique, maestro !

L’autre secret du succès (en tout cas en Angleterre, le film étant malheureusement méconnu ici malgré une ressortie en 2009) de Bugsy Malone réside, sans surprise, dans sa bande originale, nommée, tiens donc, elle aussi aux Oscars en 1976. Mélodiste hors pair avec un don inné pour les balades déchirantes – ceux qui sont encore hantés par son « Old Souls» dans Phantom of the Paradise peuvent en témoigner – et les chansons pop entraînantes, Paul Williams a livré une dizaine de bijoux à Parker alors même qu’il était en tournée durant la production du film. Le duo regrette aujourd’hui d’avoir posé des chants d’adultes sur les enfants du film, mais cette réserve reste bien dérisoire lorsque lesdits morceaux retentissent à intervalles réguliers : « Fat Sam’s Grand Slam », l’étonnant « Tomorrow », « So you wanna be a boxer ? » (repris des décennies plus tard comme générique d’une émission sportive outre-Manche !) et le grand final « You give a little love » font partie des plus étincelantes compositions d’une BO intemporelle, fredonnée des décennies plus tard par de multiples troupes de théâtre amateur.

Bugsy Malone a en effet fait l’objet quelques années après sa sortie d’une adaptation théâtrale supervisée par Alan Parker, et est depuis régulièrement joué sur les planches. Le film est régulièrement cité dans les classements des meilleures comédies musicales, et son concept aura inspiré quelques courageuses tentatives, comme Big City, du Français Djamel Bensalah, qui revisitait le western façon culottes courtes, avec toutefois moins d’ampleur et de « sérieux » que son aîné.