Cash : le doux parfum de la revanche sociale

par | 29 août 2023 | À LA UNE, Critiques, NETFLIX

Cash : le doux parfum de la revanche sociale

Film d’arnaque exploitant le décor original de Chartres, Cash impose surtout à l’écran le charme cabossé de Raphaël Quenard.

Ah, Chartres. Capitale de l’Eure-et-Loir, abritant l’imposante cathédrale Notre-Dame du XIIIe siècle. Une ville d’Histoire et de pèlerinages, c’est certain, mais définitivement « au milieu de que dalle », comme le rappelle Jérôme Sauveur (Raphaël Quenard), le héros de Cash, premier long-métrage de Jérémie Rozan pour Netflix. Rozan a pris le parti, plutôt original, de prendre la ville pour décor en exploitant – dès les premières minutes – ses spécificités visuelles. Contrairement au déjà ancien (2008 !) film éponyme avec Jean Dujardin, plutôt bling-bling, Cash contredit presque son titre en posant ses caméras dans la « banlieue lointaine » de Paris.

Mais nous comprenons d’autant plus vite à l’évocation de Chartres la frustration de son personnage principal, qui ne rêve depuis tout petit que de s’en échapper. Sauveur rêve d’ailleurs dans le petit pavillon parental avec vue sur la cathédrale. Mais malgré ses efforts et ceux de son ami d’enfance, « Scania » (Igor Gotesman), aucune chance pour lui d’échapper à l’emprise du groupe de transport Breuil & Fils, principal employeur local et fleuron de la bien réelle « Cosmetic Valley », qu’il avait juré de ne pas rejoindre. Engagé comme manutentionnaire, Sauveur réalise qu’il existe un moyen de détourner les flacons de parfum de luxe qu’il met en boîte tous les jours, pour les revendre au marché noir. Flairant l’argent facile, il met en place un trafic de grande ampleur et finit par recruter un véritable gang de collègues au sein de l’usine…

Sauveur’s Eleven

Cash : le doux parfum de la revanche sociale

La voix-off et le montage staccato parsemé de flash-backs qui ouvre Cash ne laisse aucun doute sur le genre auquel appartient le long-métrage. Film d’arnaque pur jus, avec ce que cela suppose de personnages improbables, de « plans parfaits » qui finissent par dérailler à cause de l’appât du gain, de bande-son funky (des Specials à IAM en passant par les Gipsy Kings, Rozan ne lésine pas sur ce point) et de rebondissements à répétition dans le dernier acte, Cash importe dans l’Eure-et-Loir une formule déjà abondamment exploitée au cinéma dans tous les coins du monde. Se rebeller contre la norme et l’ordre établi en raflant au passage le magot confisqué par une poignée de privilégiés est un fantasme universel, et il est assez rafraîchissant de voir ces codes « confortables » à la Ocean’s Eleven, importés dans un coin de France un peu improbable – qui plus est lorsque le réalisateur en question place ici et là des clins d’œil stylistiques plutôt drôles à Sergio Leone, Tarantino ou au Scorsese des Affranchis.

« La raison pour laquelle Cash restera dans les mémoires tient en deux mots : Raphaël Quenard. »

Alors, bien sûr, même si le film est très rythmé et efficace dans son découpage, il est aussi relativement prévisible – il ne fait aucun doute que la bande de Sauveur et Scania finira par triompher de l’adversité, représentée par un vil golden boy (Grégoire Colin) et son homme de main (le génial Youssef Hajdi) ayant découvert le pot aux roses. Déception aussi avec le personnage de Virginie, DRH déçue par sa carrière qui tombe sous le charme de Sauveur et ne gagne jamais vraiment en épaisseur – cela permet toutefois de recroiser Agathe Rousselle dans un rôle très éloigné de la palme Titane. Mais au final, la raison pour laquelle Cash restera dans les mémoires tient en deux mots : Raphaël Quenard. Révélation de l’année 2023, après avoir explosé dans le drame Chien de la casse puis quasi-starifié par le Yannick de Quentin Dupieux, l’acteur arrive comme une comète déjà formée dans le cinéma français. Avec son physique de jeune premier cabossé, son phrasé inimitable à cheval entre deux époques, son jeu imprévisible et flegmatique, Quenard fait de Sauveur un héros plus complexe, moins aimable qu’il ne devrait. Il est le centre de gravité d’un divertissement qu’il domine du premier au dernier plan, avec le sourire complice de celui qui sait que le monde lui appartiendra un jour, même si tout joue contre lui.