Cop Car : hé, gamin, elle est où ma caisse ?

par | 25 avril 2016

Sensation de festival, Cop Car suit deux gamins en virée dans une voiture volée à un shérif véreux. Critique d’une série B simple, touchante et pleine de suspense !

Dans un élan créatif qui tient désormais lieu de véritable stratégie commerciale, Jon Watts, l’un des créateurs de l’émission d’info satirique Onion News Network (une sorte de Gorafi américain) et réalisateur du film d’horreur Clown et de Cop Car, s’est vu confier les rênes du re-reboot de Spider-Man, sous-titré Homecoming. Le cinéaste va ainsi rejoindre Marc Webb, Colin Trevorrow ou Gareth Edwards, dans la désormais longue liste des auteurs indépendants propulsés du jour au lendemain à la tête d’un blockbuster à 200 patates. On lui souhaite bonne chance, et on espère surtout que le bonhomme ne perdra pas, comme une partie de ses pairs, sa sensibilité dans un projet cadenassé par les studios.

Car, même s’il n’a pas l’aura d’un classique définitif à la Duel, duquel on le rapproche souvent (ne serait-ce que parce que Watts glisse un clin d’œil au film de Spielberg via une plaque d’immatriculation), Cop Car fait figure de jolie révélation. Tournée pour une misère en moins de deux semaines – le résultat à l’écran est pourtant exceptionnellement soigné niveau découpage et photographie -, cette série B démontre des qualités de directeur d’acteur et de scénariste qui devraient en faire un cinéaste marquant pour les années à venir.

En voiture les mômes !

Au centre de Cop Car, il y a, contrairement à ce que laisse penser l’affiche internationale, non pas Kevin Bacon (ici acteur et producteur, tout de même), mais deux enfants. Deux gamins d’une dizaine d’années, qui traversent à pied les vastes étendues sauvages du Colorado en poursuivant leur concours de jurons. Travis (James Freedson-Jackson) et Harrison (Hays Wellford) personnifient la liberté propre à la pré-adolescence, quand chaque journée offre avant tout une promesse d’aventure. De l’inédit, du grand frisson, les mômes vont en avoir en tombant au détour d’un bosquet sur une voiture de police abandonnée. Aussi fascinés que s’ils venaient de découvrir une soucoupe volante, Travis et Harrison prennent bientôt leur courage à deux mains et rentrent dans la voiture, et s’aperçoivent que les clés sont sur le contact. C’est parti pour une virée maladroite, mais grisante sur les routes, et avec les gyrophares s’il vous plaît ! Manque de chance, le propriétaire de ladite voiture, le shérif Kritzer (Bacon et une fabuleuse moustache), est un ripou quatre étoiles, qui a tout intérêt à récupérer très vite son véhicule et les preuves compromettantes qu’il renferme…

« Un morceau de bravoure monté avec trois fois rien, qui rappelle que l’énergie de l’enfance ne protège en rien de la brutalité du monde adulte.« 

De ce pitch minimaliste réglé en trois actes très distinctement séparés (et en moins de 90 minutes), Jon Watts tire un film très évocateur, qui n’est pas tant soumis à la résolution de ses rebondissements (le shérif va-t-il retrouver les enfants ? Qu’est-ce qui est caché dans le coffre ?), qu’à la description attachante et énamourée de l’amitié qui lie deux garçons plus vrais que nature. Hors du temps, hors des modes, Travis et Harrison sont deux gamins comme il en existe tant en Amérique, qui pourraient être échappés d’une nouvelle de Stephen King comme Stand by Me, ou d’un film de Jeff Nichols comme Mud. Et pourtant, les nuances qui apparaissent au fil des dialogues dans leur relation leur donnent une épaisseur et une personnalité qui s’avèreront décisives pour les dernières séquences. Le film fait preuve d’une vraie sensibilité à ce niveau, jouant adroitement avec notre adhésion aux actes des enfants et notre peur manifeste devant leur inconscience (comme lorsqu’ils jouent par exemple avec des fusils d’assaut chargés comme s’ils étaient en plastique). Mais ce qui épate le plus, c’est la manière dont ce récit a priori léger comme la brise s’entremêle avec l’univers des polar rednecks et violemment absurdes, chers depuis Sang pour Sang et jusqu’à No country for old men aux frère Coen. Cop Car, qui débute sous un soleil écrasant, ne s’achève pas pour rien sur des lueurs d’orages nocturnes.

La fin de l’innocence

Car bien sûr, Kevin Bacon n’est pas mis en avant pour rien dans le cas présent : tout à son numéro de ripoux hirsute et dégingandé, plein de ressources, mais dénué de scrupules, l’acteur pousse les curseurs de la beaufitude menaçante un cran plus loin. Jouant ce shérif comme si le flic manipulateur de Sexcrimes avait été muté au fin fond du désert de Colorado Springs, l’acteur en fait des tonnes tout en sachant toujours sur quel fil danser pour éviter de faire déraper l’ensemble. Les mésaventures qui ponctuent sa traque ont bien sûr quelque chose de comique (sa course à perdre haleine à travers champ, sa tactique un poil maladroite pour ouvrir une voiture), dans le ton de l’épopée incroyable des deux enfants qui se déroule en parallèle. Jon Watts ne laisse toutefois rien au hasard, et cette indolence, ces péripéties casanières, laissent graduellement la place à un ton plus ombrageux, comme pour mieux signifier la fin du jeu, la fin de l’innocence, et le retour d’un réel sauvage et incertain.

Une idée brillante, simple et puissamment illustrée par une résolution musclée et très chorégraphiée, au pied d’un moulin à vent. Un morceau de bravoure monté avec trois fois rien, qui rappelle, comme chez Stephen King, que l’énergie de l’enfance ne protège en rien de la brutalité du monde adulte. Modeste, mais carré, Cop Car, malgré quelques scories (un personnage féminin secondaire, qui trouve péniblement sa place dans le récit), aurait dû selon toute logique sortir du lot, et sortir tout court en salles chez nous. Après une apparition éclair sur les plannings, le film de Jon Watts est finalement directement arrivé en DVD (même pas en haute définition) chez nous, ce qui est regrettable, considérant la cinégénie de ses décors, et la singularité évidente du projet. Que ça ne vous empêche pas de le découvrir fissa !