Daniel Isn’t real : dédoublements et démons

par | 8 mai 2023

Daniel Isn’t real : dédoublements et démons

Maladie mentale et horreur surnaturelle s’entrechoquent dans Daniel isn’t real, série B hallucinée et sous influences.

Avoir un ami imaginaire, ce n’est pas toujours une bonne nouvelle. Demandez donc au jeune Luke ce qu’il en pense. Le héros malheureux de Daniel isn’t real, production  datée de 2019 où l’on retrouve la patte indé toujours intrigante de SpectreVision (l’un de ses fondateurs n’est autre qu’Elijah Wood, fondu de films de genre un peu trash), est un petit garçon comme les autres, mais qui n’a comme ami que… Daniel, oui – qui n’est donc pas réel, comme l’auront compris les moins anglophones d’entre vous. Avec la séparation de ses parents et la lente descente dans la folie de sa mère dont il reste très proche, Luke ne devient pas le post-ado le plus joyeux de la terre, même à son entrée à l’université. C’est au moment où les choses dérapent à nouveau que l’inamovible Daniel, qui a lui aussi bien grandi, refait son apparition dans sa vie. Plus bad boy et collant que jamais, Daniel personnifie l’exubérance, mais aussi les mauvais penchants refoulés de Luke. Et si cet alter ego perché sur sa mauvaise épaule était le symptôme d’une folie héréditaire ? Et si, ce qui est plus inquiétant, Daniel était autre chose que cela ?

Les mauvais esprits se rencontrent

Daniel Isn’t real : dédoublements et démons

Dès ses premières images jouant sur un motif circulaire proche de la séance d’hypnose, Daniel Isn’t Real nous annonce qu’il va dépeindre une véritable descente aux enfers pour son innocent héros. Le film d’Adam Egypt Mortimer (quel nom) joue d’abord discrètement la carte de l’ambiguïté visuelle, recourant à des effets de cadrage qui rappellent le Shyamalan de Sixième Sens pour établir la dualité dérangeante de Luke et Daniel : les scènes où les deux garçons s’entendent comme larrons en foire tranchant avec la réalité « objective » où il devient clair que Daniel est la personnification nécessaire de l’ami que le solitaire Luke n’a jamais eu. Cette manifestation, bientôt dramatique, d’un inconscient malmené, est renforcée une fois notre héros arrivé à l’âge adulte. Daniel Isn’t Real confronte directement le spectateur aux conséquences de la dépression et des maladies mentales : c’est peut-être lors de ces scènes, où l’actrice Mary Stuart Masterson se montre saisissante dans la peau d’une mère en perdition, que le film fait le plus frissonner. Luke est aussi impuissant qu’inquiet à l’idée que lui aussi puisse perdre ainsi la tête – la réapparition de Daniel étant le déclencheur évident de cette remise en question.

« Adam Egypt Mortimer braconne, de toute évidence,
sur les terres de Clive Barker. »

Daniel Isn’t Real pourrait jouer la carte de l’étrangeté feutrée, d’un dialogue mental perturbant entre un homme sur la brèche et sa mauvaise conscience. Mais comme le rappellent les effets clippesques qui parsèment le montage, le cabotinage exorbité de Patrick Schwarzenegger (qui est bien sûr le fils de, et ça se voit) dans le rôle de Daniel, les scènes de cauchemar aux couleurs saturées et l’imagerie métalleuse qui imprègne bientôt cet univers, c’est bien d’un film d’horreur surnaturel ici et pas un drame psychologique. Mortimer braconne de toute évidence sur les terres de Clive Barker, qu’il s’agisse de dépeindre fugacement un outre-monde infernal, de malmener les chairs, ou d’insister sur l’homo-érotisme qui caractérise, malgré les conquêtes féminines de Luke, la relation entre les deux héros. Il est impossible également de ne pas penser à Donnie Darko et Fight Club, mètres-étalons du film de milléniaux en crise de mal-être et dépendants de leur alter ego négatif. Daniel Isn’t Real se voudrait transgressif, dérangeant, et aussi malin que ces références, mais dès lors qu’il s’embarque dans des histoires d’entité et de schizophrénie démoniaque, le film devient au contraire plus prévisible, familier et bancal. Mortimer n’est pourtant pas maladroit, certaines scènes intenses prouvant l’efficacité éprouvée de son concept. Et l’économie de série B convient bien à cette histoire finalement très linéaire, qui aurait peut-être marqué un peu plus les consciences si elle était sortie 20 ans plus tôt.