Le monde merveilleux de Disney, celui des princesses et des fées, celui aussi qui dévore tout sur son passage à l’image du rachat de Pixar, Marvel et de LucasFilms, laisse entrapercevoir avec Dans l’ombre de Mary, qui pourrait être aussi présenté comme un documentaire sur les dessous du studio, l’homme derrière les grandes oreilles. Dans les années 30, un roman culte pour enfants fait le tour du monde : le personnage de Mary Poppins, gouvernante toujours accompagnée de son parapluie et sa valise magique, naît sous la plume de Pamela Lyndon Travers. Si l’auteure britannique d’origine canadienne accède à la célébrité en gagnant le cœur des enfants avec la nounou de leurs rêves, celle-ci passe définitivement à la postérité grâce au film produit par Walt Disney et réalisé par Robert Stevenson, spécialiste maison des grosses productions qui enchaînera avec des « classiques » du style Un amour de coccinelle et L’espion aux pattes de velours.
Le papa et la maman de Mary
À l’époque, seule P. L. Travers résiste au charme du talentueux wonderboy, alors au sommet de sa gloire médiatique, grâce notamment à ses apparitions télévisées. Après la découverte de Mary Poppins dans la bibliothèque de sa fille, le personnage ne cesse de hanter le papa de Mickey. Si le dessinateur et patron d’entreprise démontre autant de ténacité à vouloir adapter ce roman, ce n’est qu’en partie pour faire plaisir à son enfant. Lourdement critiqué par l’élite intellectuelle américaine, il souhaite forger une œuvre majeure qui rabattrait le caquet de ses détracteurs tout en présentant en quelque sorte un testament artistique, qui ne soit pour une fois pas un film d’animation. De fait, Mary Poppins marquera son avant-dernier film à la tête des studios, avant son décès deux ans plus tard.
Il finit par convaincre Travers de se rendre dans la cité des Anges pour travailler sur l’adaptation cinématographique. Mais cette femme n’apprécie guère les dessins animés et ceux du brave Walt en particulier, et refuse de céder les droits d’adaptation. Elle exige que son travail préparatoire avec le scénariste Don DaGradi (Bradley Whitford, À la maison blanche, Cabin in the woods) et les frères Sherman, les compositeurs, soient systématiquement enregistrés. Elle refuse à peu près l’ensemble des propositions qui lui sont faites, des chansons aux traits de génie comme « Supercalifragilisticexpialidocious », des pingouins animés en passant par l’acteur principal, Dick Van Dyke, ou même la présence de la couleur rouge à l’écran. Les charmes du charismatique entrepreneur se heurtent à la rudesse de caractère de la romancière qui résiste aux cadeaux, à la visite privée de Disney World et même à un gros chèque.
Une nounou d’enfer
[quote_right] »Mary Poppins marque l’avant-dernier film de Disney à la tête des studios avant son décès deux ans plus tard. »[/quote_right]Plus encore, elle se dispute avec Disney à propos de la représentation de la figure paternelle en la personne de Mr. Banks, qui selon elle, ne porte aucune moustache. Elle tient mordicus à la préservation de ce personnage. Têtue, elle confie à ses collaborateurs à son sujet « Mary Poppins ne revient pas pour sauver les enfants, elle revient pour sauver Mr. Banks » (titre original du film). Car Travers, de son véritable nom Helen Lyndon Goff, cache un lourd secret. Elle a grandi dans la campagne australienne, avec son père adoré (Colin Farrell, en pleine crise d’œdipe), directeur de banque emporté par l’alcool et la démence, l’abandonnant à une mère dépressive qui l’indiffère. Ce passé douloureux influe significativement sur la tournure du roman qui sera un moyen d’exorciser sa perte. Comprenant de quoi il est question, Walt, va se rapprocher de la romancière, et tenter avec sincérité de faire tomber ses préjugés et de débloquer la production du film, non sans difficulté.
Emma Thompson s’évertue à camper une vieille fille acariâtre, se laissant peu à peu envahir par les souvenirs et les émotions qu’ils déclenchent. Malheureusement, ce registre reste fort limité et ne va pas plus loin que son postulat de départ. L’émotion, osons le dire, omniprésente, a été pensée pour arracher une larme au spectateur. Or, la vie de Pamela Lyndon Travers ne se résume pas à une enfance difficile et à la création d’un personnage culte. La romancière, également actrice et journaliste, a connu un parcours semé d’embûches, de mystères et de rumeurs sulfureuses, comme son adoption tardive d’un petit garçon séparé de son jumeau, ou encore ses rapports avec Madge Burnans, avec qui elle a vécu. Mais en se concentrant sur ce registre sentimental, exclusivement façonné à coups de flash-back lacrymaux, les scénaristes ont délibérément choisi d’ignorer la richesse de la personnalité de Travers.
Du Disney sans la magie
Le véritable intérêt du film repose bien entendu sur les archives de Disney. Dans l’ombre de Mary propose un tour complet du Hollywood des années 60, du bureau du maître du dessin animé, en passant par son célèbre parc d’attractions. Si vous avez grandi avec Bambi (1942), Blanche-Neige et les sept nains (1937) ou encore Fantasia (1940) ou enfin Mary Poppins (1964) et Le livre de la jungle (1967), le film permet de découvrir ces productions sous un angle authentique avec une véritable reconstitution des lieux, même si ce sujet n’occupe que l’arrière-plan de la narration. Tom Hanks dresse un portrait débonnaire d’un Disney dans la fleur de l’âge, mais fumeur invétéré, l’ombre de la mort plane d’ailleurs autour de lui (il est décédé d’un cancer du poumon, la cigarette aux doigts) à la fois bienveillant et puissant. Avec Pamela Travers, il fait preuve à la fois de patience et de gentillesse jusqu’à obtenir son aval. Une fois le contrat signé, il ne prendra même pas la peine de l’inviter à la première du film – ultime pied de nez, elle y sera malgré tout présente, comme l’attestent les photos d’archive défilant pendant le générique de fin.
Lancé sur des rails (trop) bien huilés, Saving Mr. Banks ressemble à une vieille micheline qui siffle et tousse sur la route du mélodrame, conduisant le spectateur à une attendue et pesante crise lacrymale. Sans faire de vague, ni colorier en dehors des traits, cette histoire, honnête, mais répétitive et lisse, manque cruellement de rythme et d’originalité.
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Dans l’ombre de Mary (Saving Mr. Banks)
De John Lee Hancock
2014 / USA / 125 minutes
Avec Emma Thompson, Tom Hanks, Paul Giamatti
Sortie le 5 mars 2014
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