Vous aurez bien de la chance si vous croisez aujourd’hui en salles les derniers films de Ken Loach et Artus de Penguern. L’été est aussi une saison embouteillée sur les écrans, hélas, mais ça n’est pas une raison pour ne pas revenir en quelques lignes sur leurs deux derniers films, des comédies mais pas seulement.

La part des anges

Quatre petits délinquants préparent le vol de whisky du siècle.

Pendant trois longs quarts d’heure de La part des anges, le spectateur a le droit de se demander s’il n’y a pas erreur sur la marchandise. L’affiche, assez quelconque, ne donne que peu de directions sur le ton du film, mais surtout, celui-ci est vendu depuis son prix du Jury à Cannes comme une escapade humoristique, une parenthèse légère dans la carrière du vétéran Ken Loach. Pourtant, passée une introduction drolatique où une bande de jeunes délinquants nous est présentée lors de son passage au tribunal (ils vont être condamnés à des travaux d’intérêt général), c’est surtout la sensation, familière, d’une peinture en caméra embarquée du bas-Glasgow. Un purgatoire social hanté par les fantômes du chômage, de la violence aveugle et plongé dans une perpétuelle grisaille, d’où tente de s’extirper Robbie (Paul Brannigan, fragile écorché), pour oublier son passé de délinquant ultra-violent – il est confronté, dans une scène scotchante, à une de ses victimes et sa famille – et élever son jeune bébé.

Le Ken Loach des années 80 n’aurait sans doute offert aucune échappatoire au jeune Écossais. Mais, et c’est là où le vrai propos de La part des anges ressort, Robbie se trouve être doué en dégustation de whisky, initié qu’il est par son débonnaire superviseur. Un talent qui l’amène, forcément, à avoir l’idée d’un cambriolage de haut vol mijoté avec l’aide de ses compagnons de galère (dont un ahuri à l’innocente stupidité irrésistible) : celui du Graal des purs malts, à 50 000 livres la flasque. À mi-parcours, le film quitte, assez brutalement, ses paysages urbains familiers, pour les paysages campagnards de l’Écosse profonde, et c’est comme un autre film qui commence. Moins réaliste, ouvertement drôle et obéissant aux règles établies du film de braquage. La part des anges y gagne en flamboyance ce qu’il perd en crédibilité, Loach s’autorisant un happy end goguenard qui tranche avec son discours habituel, avec sa filmographie pleine de petites gens écrasés par les hommes de pouvoir et enfermés dans un cercle vicieux de pauvreté et de brutalité. La part des anges est bien une surprise, plus maîtrisée et pertinente qu’un Looking for Eric, mais toutefois mineure dans la carrière du cinéaste.


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Trois sur cinq
La part des anges (The Angel’s share)
De Ken Loach
2011 / Angleterre-France-Belgique-Italie / 101 minutes
Avec Paul Brannigan, John Henshaw, Jasmin Riggins
Sortie le 27 juin 2012
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La clinique de l’amour

La fine équipe de la clinique Marshal : un repère d’olibrius au grand cœur.

Jusqu’à aujourd’hui, l’auteur-metteur en scène-comédien Artus de Penguern n’avait à son actif qu’une seule réalisation, Grégoire Moulin contre l’humanité (2001). Une comédie, mais pas n’importe laquelle : un décalque malin, allumé et férocement poétique de l’After Hours de Scorsese, où se télescopaient une galerie d’azimutés tous droit sortis d’un sketch grolandais un soir hystérique de rencontre footballistique. Réjouissant et hystérique, le film permettait aussi de se familiariser avec l’Artus acteur, visage lunaire vaguement débarqué d’un film de Chaplin, amoureux de comédie musicale et de burlesque teinté de poésie naïve. Autant dire que son deuxième essai, version longue d’un court déjà ancien, était attendu.

Sans surprise, on retrouve au cœur de La clinique de l’amour le même personnage, maladroit mais volontaire interprété par le réalisateur, la même histoire d’amour rocambolesque démarrant sur un coup de foudre, la même galerie de personnages gentiment décalés constituant autant d’intrigues à dérouler… La ruée vers l’Or est même littéralement citée. La force de Penguern, c’est sa capacité à surprendre, par exemple avec un flashback guerrier qui n’aurait pas dépareillé dans Y a-t-il un pilote dans l’avion ?, ou l’intervention totalement surréaliste d’un ours (ou plutôt, d’un homme en costume d’ours) très sympathique.

Étrangement, le jeu sur l’américanisation des personnages et de l’intrigue, qui permet de souligner la nature parodique d’un film moquant comme Les Inconnus en leur temps les soap hospitaliers yankees, n’est jamais surligné. Artus de Penguern revendique une démarche artisanale, ce côté intemporel d’un univers tout sauf sérieux obéissant à sa propre logique absurde. S’il est souvent réjouissant, La clinique de l’amour pêche par un humour vieillot, volontairement forcé, et ce parfois en pure perte. L’auteur n’a rien contre une bonne vieille gamelle, une porte récalcitrante ou une bonne manchette en travers du portrait pour déclencher un rire. C’est une tendance rare en France. Mais cela ne doit pas faire oublier que le film, plutôt cheap visuellement, ne possède pas la verve et l’énergie de Grégoire Moulin. Dommage.


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Trois sur cinq
La clinique de l’amour
D’Artus de Penguern
2012 / France-Luxembourg-Belgique / 83 minutes
Avec Artus de Penguern, Héléna Noguerra, Michel Aumont
Sortie le 27 juin 2012
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