Don’t Look Up : souriez, vous êtes foutus

par | 21 janvier 2022 | À LA UNE, Critiques, NETFLIX

Don’t Look Up : souriez, vous êtes foutus

Satire farcie de métaphores grosses comme la Lune, Don’t Look Up vaut plus pour ses intentions que pour ses qualités de comédie « folamouresque ».

C’est ce qui s’appelle avoir le nez creux. Sorti le jour du Réveillon de Noël, porté par un casting de stars comme sans doute jamais Netflix n’en a connu auparavant, Don’t Look Up a réussi à s’inviter, entre deux paquets-cadeaux et coupes de champagne, dans toutes les conversations de la fin d’année 2021. Conversations familiales, amicales, médiatiques, certes, mais aussi politiques. Le film d’Adam McKay, désormais bien loin du monde des potacheries sophistiquées avec Will Ferrell, est devenu ce qu’il rêvait sans doute secrètement d’être : l’étendard catastrophique, et catastrophé, d’une société démocratique se désolant de l’inaction des pouvoirs politiques et financiers face au changement climatique. Car Don’t Look Up a beau parler de l’atterrissage d’un astéroïde « tueur de planètes » (expression reprise du bien plus bourrin Armageddon – c’était une autre époque), la métaphore, à l’image des caricatures que McKay s’emploie à faire passer pour des personnages, crève les yeux.

Comète et incompétence

Don’t Look Up : souriez, vous êtes foutus

L’histoire, à ce stade, vous la connaissez : l’astronome Randall Mindy (Leonardo DiCaprio, qui a décidé de se transformer en Haley Joel Osment le temps d’un film) et sa pétulante collègue Kate DiBiasky (une excellente Jennifer Lawrence), découvrent au hasard de leurs observations l’existence d’un astéroïde, dont leurs calculs indiquent qu’il croisera dans un moins d’un an le chemin de la Terre. En gros : ils peuvent prédire la fin du monde, « à 99,97 % » avec certitude. Ils alertent la présidente des USA, que Meryl Streep, à la fois en roue libre et en impro totale, se charge d’incarner en fusionnant le pire de Donald Trump et Sarah Palin – son « chief of staff », qui se révèle être son propre fils (caricature des Trump oblige), est joué par un Jonah Hill encore plus clownesque et irritant. Bien entendu, la Maison Blanche est remplie d’incapables et d’inconscients, infoutus de comprendre la gravité de la situation. Randall et Kate tentent d’éveiller les consciences en passant dans les médias, mais la télé est elle aussi pleine d’abrutis (Cate Blanchett, désarmante, et Tyler Perry jouent les présentateurs de talk-shows à la débilitante dérision) et Internet préfère transformer les deux scientifiques en memes. Quand l’évidence de l’apocalypse se dessine, le monde consent à prendre les choses en main pour éviter le pire, mais c’est sans compter sur l’ingérence de Peter Isherwell (Mark Rylance, dans une version plus flippée et robotique de son personnage de Ready Player One), magnat illuminé de la technologie et multimilliardaire persuadé que l’on peut tirer mille richesses des matières premières présentes sur l’astéroïde…

« Un jeu de massacre rigolard et quelque peu donneur de leçons. »

Bien que soit Don’t Look Up une grande farce cosmique, un mélange assumé d’Idiocracy et de Docteur Folamour où le rire est la politesse du désespoir, sa force inattendue vient du fait que le monde caricaturé ici à grands traits dépasse déjà depuis un moment la fiction en absurdité coupable et en crétinerie érigée en mode de pensée. La probabilité qu’un astéroïde percute notre planète bleue relève bien plus de la science-fiction que les irrémédiables bouleversements dus au changement climatique. Et cette réalité-là, cette vérité scientifique martelée par des hommes et femmes aussi rationnels qu’implacables dans leur raisonnement, passe au-dessus de la tête d’une bonne partie de nos dirigeants et des « 1 % » depuis un bon demi-siècle. Le rire s’étrangle dans notre gorge dans Don’t Look Up, il pose une limite à la moquerie burtonienne (s’il y a bien un univers auquel le film fait penser, c’est celui du cartoonesque Mars Attacks !) qui passé une première demi-heure plutôt posée, ravage tout sur son passage. Parce que McKay a décidé de faire de son film un cri d’alarme, s’assurant la participation du tout-Hollywood pour faire passer le message au plus grand nombre (le paradoxe est finalement que les médias finissent par plus parler des stars du film que d’analyser son message), le caractère un peu approximatif du long-métrage, au montage volontairement heurté et déstabilisant – les personnages sont souvent coupés en plein milieu de phrases, comme pour amplifier leur statut de marionnettes dérisoires et aphones -, à l’équilibre fragile entre comédie grasse et désenchantement collectif, devient plus flagrant, plus dommageable. Don’t Look Up voudrait être, et est devenu, cet étendard alarmiste repris comme un totem pop par tous les activistes politiques, mais il aurait fallu que le film résiste lui-même à la critique pour être véritablement mémorable.

Quand la subtilité s’évapore

Don’t Look Up : souriez, vous êtes foutus

En l’état, le film d’Adam McKay préfère partir du principe que les spectateurs sont aussi crétins que ses personnages secondaires (le couple DiCaprio – Lawrence, même s’il cède au pétage de plombs et à la colère, dans ses scènes télévisuelles réminiscentes de Network, demeure in fine un îlot de raison et de rationalité) et que s’il faut souligner ses métaphores à grand coup de Stabilo enragé pour se faire comprendre, autant y aller franco. Il n’y a qu’à voir la façon dont le scénario illustre à sa manière le slogan punk des altermondialistes « Eat the Rich », dont il explicite les travers de l’infotainment qui pullule sur nos petits écrans, ou la façon qu’ont les Républicains de fabriquer une réalité alternative. C’est une exagération des impasses fatales de notre société, oui, mais c’est surtout une vision dix degrés en-dessous de l’hystérie collective à laquelle nous sommes confrontés chaque jour. Le monde est fou, le monde est con, mais Don’t Look Up n’a pas l’air de bien comprendre à quel point la farce construite ici est trop proche, même métaphoriquement, de notre réalité, pour en rire innocemment.

McKay n’est pourtant pas entièrement nihiliste. Le film repose sur une sorte de twist vers le pire, démontrant dans son deuxième acte qu’une solution à tous nos problèmes climatiques serait possible si les intérêts de chaque nation convergeaient, tels un alignement des planètes, avec leurs intérêts personnels. En d’autres termes, si lutter pour de bon contre le changement climatique était profitable électoralement et économiquement – lutter contre la domination technologique américano-chinoise serait aussi une bonne chose, nous murmure une autre scène. C’est un intermède utopique avant que le rouleau compresseur rigolard s’enclenche, mais cette forme de nuance assure au moins à Don’t Look Up d’être autre chose qu’un jeu de massacre rigolard et quelque peu donneur de leçons, tirant d’ailleurs un peu en longueur à force de multiplier les personnages secondaires à l’utilité discutable (mais que vient faire Timothée Chalamet dans cette histoire, au final ?).