Il apparaissait compliqué, voire impossible pour Neill Blomkamp de réitérer avec son second film l’exploit de District 9, mètre étalon le plus récent d’une SF intelligente, exploitant à merveille des sous-textes sociologiques pertinents et un crescendo émotionnel inattendu, le tout emballé avec une dextérité et une richesse graphique qui laissaient pantois. Le petit prodige sud-africain, parrainé très officiellement par Peter Jackson, est passé à l’échelle supérieure en écrivant et réalisant l’ambitieux Elysium, qui bénéficie d’un budget plus de trois fois supérieur à son aîné, et d’une star internationale en tête d’affiche.
[quote_center] »Pré-mâché, Elysium l’est, au-delà du raisonnable et de l’excusable. »[/quote_center]
Le concept du film, résumé dès les premières minutes du métrage, est aussi limpide que spartiate : en l’an 2154, la Terre a atteint un niveau de surpopulation tel que les plus riches de la planète, les fameux 1 % de sur-privilégiés, se sont exilés sur une station orbitale appelée Elysium, sorte d’immense terrain de golf circulaire garni de villas romaines et de « médipods » garantissant une vie sans maladies. En bas, dans une Los Angeles réduite à l’état d’immense bidonville, Max, ex-taulard rêvant depuis tout petit d’habiter cet Eden spatial, n’a d’autre choix pour survivre que d’enfiler un exo-squelette de fortune et de tenter une opération commando pour rejoindre Elysium. Au gré des circonstances, cet homme sans avenir et qualités particulières (à part son talent pour voler des voitures) va devenir le seul espoir d’une humanité condamnée à la misère et à la maladie.
RoboMax
On le constate dès les premiers plans aériens, dès les premières séquences d’exposition s’enchaînant dans une sorte de fébrilité créative qui irriguait déjà District 9 : Blomkamp n’a rien perdu de son talent pour créer un univers aussi palpable que déglingué. Avec une implacable clarté et une multitude de détails inondant l’écran (des navettes volantes déclinées suivant leur fonction au robot-conseiller de probation, pas un boulon n’est pensé à la légère), c’est toute une société futuriste qui se dessine, anticipation cauchemardesque d’une société dans laquelle les embouteillages du RER passeraient pour les doux souvenirs de jours meilleurs. Blomkamp pousse le bouchon de la radicalisation des différences de classes jusqu’au bout : la station Elysium (désignée par nul autre que Syd Mead, à l’origine des concepts visuels de Blade Runner) est ainsi presque uniquement peuplée de bourgeois blancs propres sur eux, parlant français et anglais, tandis que le Los Angeles miséreux est peuplé en très grosse majorité d’hispanophones, tassés dans des favelas indistinctes et poussiéreuses. Qu’au centre de ce microcosme se trouve un anti-héros tout ce qu’il y a de plus blanc, en l’occurrence un Matt Damon tatoué et bodybuildé, est une incongruité sur laquelle Blomkamp ne s’attarde pas.
Car Elysium, on s’en rend vite compte, est une œuvre moins concernée par les opinions qu’elle peut développer sur l’opposition entre classes, que par la quête effrénée d’un personnage endossant (au sens propre du terme) les oripeaux d’un héros christique, sacrifiant son intérêt individuel – survivre, coûte que coûte – au profit du bien-être de ses congénères terrestres. Et pour illustrer ce chemin de croix cyberpunk, le cinéaste n’y va pas par quatre chemins : plus encore que dans son premier film, Blomkamp marche clairement dans les pas du Verhoeven de Robocop (lui aussi une figure littéralement « crucifiée » avant de renaître sous une apparence métallique) en satisfaisant à la moindre occasion son appétit pour une violence sale et viscérale, exutoire d’une rage trop longtemps contenue par une société muselée. Max a beau être un héros sans véritables attaches et personnalité (une dimension que Damon parvient habilement à transmettre malgré un physique de star de catch), le fait d’être mis au pied du mur libère chez lui au fil des coups et des fusillades une rage insoupçonnée. Le script épouse de fait la mécanique du compte à rebours, autorisant une forme d’hystérie collective contaminant l’interprétation, la musique et le montage, qui loin de stimuler l’audience, provoquent plutôt une certaine fatigue, Elysium finissant par verser pour de bon dans l’action hyperbolique plutôt que dans la parabole musclée.
La lutte des classes pour les nuls
Aussi classique et « facile » que soit le script (impossible de comprendre par exemple pourquoi une station orbitale régulièrement attaquée est aussi mal défendue et sécurisée, alors que la main d’œuvre est robotisée), Blomkamp est loin de brader pour autant son talent de metteur en scène. L’artiste a visiblement envie de tester tous les gadgets à sa disposition, de l’ultra slo-mo à la simulation 3D de caméra portée (incroyable plan « attaché » au dos d’un Damon en plein défouraillage) en passant par les SFX photoréalistes de Weta et ILM, et il ne s’en prive pas pour mettre en valeur tous ses concepts délirants. L’arsenal inventé par exemple pour l’occasion semble être une constante stylistique chez celui qui devait un temps réaliser l’adaptation de Halo : cet amour des armes dévastatrices, qui doivent ici beaucoup aux jeux Mass Effect, confine parfois au fétichisme – voir tous ces ralentis qui se « déclenchent » au moindre coup de feu
Le gros problème inhérent à Elysium, outre l’abus caractérisé de l’apocalyptique triplette shaky cam / montage épileptique / courtes focales, et un mixage son transformant une partition déjà trop « zimmeresque » pour son propre bien en cacophonie couvrant certains dialogues, c’est son côté exagérément caricatural et pré-mâché. Caricatural dans la gestion d’un personnage comme Kruger (Sharlto Copley, hallucinant de cabotinage), némésis grimaçante baragouinant dans un affreux accent afrikaner des répliques de série Z, alors même que son personnage de mercenaire dérangé avait quelque chose de fascinant. L’acteur, révélé dans District 9, n’est pas le meilleur ami du réalisateur pour rien : haut en couleurs, iconisé à outrance – il retourne sa viande grillée avec un katana ! – Kruger éclipse rapidement l’autre grande méchante du film, Delacourt, gardienne de l’Elysium jouée avec délectation par une Jodie Foster en pré-retraite, et même notre héros Max, aussi avare en paroles que son ennemi est bavard.
Pré-mâché, Elysium l’est enfin, au-delà du raisonnable et de l’excusable. Passe encore que la pression des producteurs ait été plus forte sur un film conçu pour cartonner dans les multiplexes : fallait-il pour autant que Blomkamp rende son monde à ce point binaire, qu’il simplifie tellement les enjeux que ceux-ci en deviennent d’une naïveté aberrante, qu’il prenne son audience pour des demeurés en incrustant des flash-backs de scènes vues dix minutes avant ou utilise des métaphores tellement lourdingues (l’hippopotame, quoi !) que même ses acteurs n’y croient pas ? Le cinéaste sait indubitablement orchestrer un spectacle à l’ambition visuelle cameronienne, et installer un monde imaginaire tangible : pour étonner à nouveau (peut-être avec son futur Chappie, sorte de « Robocop en drôle » selon ses termes ?), il va devoir s’affranchir au plus vite des tics et facilités abrutissantes d’une industrie qui aurait sinon vite fait de le digérer et de le transformer en nouvel Andrew Niccol.
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Elysium, de Neill Blomkamp
USA / 2013 / 109 minutes
Avec Matt Damon, Sharlto Copley, Jodie Foster
Sorti le 14 août
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