S’attaquer au mythe cinématographique de Godzilla, parangon du kaiju-ega depuis 60 ans, et en proposer une nouvelle vision qui soit respectueuse de son modèle tout en faisant oublier la purge de 1998, voilà le pari audacieux sur lequel se sont engagés Warner Bros et Legendary Pictures en embauchant le quasi-débutant Gareth Edwards. Aidé en cela par Guillermo Del Toro et son Pacific Rim, qui avait pavé le chemin l’année passée en prouvant qu’il était possible de faire un blockbuster crédible et ambitieux (plus en tout cas qu’un Transformers) avec des monstres géants, celui qui avait réussi à surprendre son monde avec son Monsters réalisé en 2010 pour moins d’un million de dollars, réussit le miracle d’accoucher d’un mastodonte spectaculaire et jubilatoire, qui allie magie des SFX les plus perfectionnés, et une mise en scène talentueuse et puissante.

Comme dans le film de Del Toro, Godzilla tourne son regard vers les abîmes de l’Océan Pacifique. Des phénomènes mystérieux se déroulant au Japon attirent la curiosité du physicien nucléaire Joseph Brody (le seul et unique Bryan « Mister White » Cranston), qui part enquêter sur place en compagnie de son fils Ford (Aaron Taylor-Johnson), soldat dans la Navy. Ils doivent bientôt faire face une réalité aussi terrible qu’incroyable : des monstres titanesques ont été réveillés il y a des années par une série de tests nucléaires, et menacent désormais de s’abattre sur la côte ouest des USA. C’est là, à San Francisco, que travaille la femme de Ford, Elle (Elizabeth Olsen), désormais en danger…

Et soudain… les monstres

Godzilla : la glorieuse résurrection

Précédé par un buzz énorme, avec une promotion qui a su faire monter la sauce sans trop en déflorer la teneur (les affiches en particulier sont des modèles de teasing progressif), Godzilla se propose comme un spectacle frontal très premier degré, qui ringardise en quelques instants la précédente tentative de Roland Emmerich et se pose comme un jalon indéniable dans la vague des blockbusters cataclysmiques qui ont la côte en ce début de XXIe siècle. Car ce qui transparait assez vite dans le spectacle qui se déroule devant nos yeux ébahis et ravis, c’est que Gareth Edwards aime les monstres qu’il filme, mais, de plus, parvient à mettre leur existence en perspective en se mettant le plus souvent possible du côté de l’humain. Ayant assimilé avec patience l’enseignement des grands films catastrophes des années 70 comme La Tour Infernale ou bien sûr Les Dents de la Mer, il réussit à faire monter la pression en montrant le moins possible ces créatures (oui, Godzilla n’est pas seul !) pendant son premier acte, se focalisant sur les impacts et les effets que la révélation de ces monstruosités ont sur une humanité qui pensait être maîtresse du monde.

[quote_left] »Un traitement respectueux, voire émouvant, d’un matériau que beaucoup auront jugé à tort comme ringard »[/quote_left]En juxtaposant les périls qui menacent l’équilibre de la planète, évoquant les dernières catastrophes qui ont marqué les mémoires (Tchernobyl, Fukushima et le tsunami de 2004 entre autres), le scénario de Godzilla entre, comme l’original d’Inoshiro Honda, en résonance avec les peurs qui étreignent aujourd’hui l’opinion, celle du nucléaire étant bien sûr la plus prégnante. Mais il n’en oublie pas pour autant de s’appuyer des personnages faits de chair et de sang, aux motivations crédibles et non de simples figures stéréotypées qui font tapisserie en attendant les moments-chocs. Au sein d’un casting solide et inhabituel pour ce type de production (Bryan Cranston, bien sûr, mais aussi Elizabeth Olsen, Ken Watanabe, David Strathairn et Juliette Binoche !), Aaron Taylor-Johnson réussit à émerger en composant une sorte de héros malgré lui, navigant entre devoir familial perturbé et une quasi-fascination pour la créature qu’il suit à la trace. Et quand arrive le moment de révélation du roi du kaiju-eiga dans toute sa splendeur, dans une séance nocturne à la fois angoissante et de toute beauté, non seulement cette apparition titanesque n’amoindrit en rien la puissance qui était alors contenue, mais renforce d’autant plus l’aura d’une créature qui dépasse son simple cadre de création numérique.

Un tangible chaos

Godzilla : la glorieuse résurrection

Alors que s’engage le cortège de clashs colossaux qui va rythmer la seconde partie (Michael Bay peut déjà en prendre note et partir pleurer dans un coin), Gareth Edwards ne dévie en rien son axe de mise en scène et continue dans sa veine quasi-anxiogène, en décrivant l’enfer qui étreint certaines cités américaines comme rarement cela a été montré sur grand écran dans le genre. Car ici pas de chaos coloré et second degré à la Bay ou à la Emmerich : le spectacle affiché n’est pas là pour servir de vitrine cynique et déshumanisée à la performance des artificiers du numérique, mais contribue à terrifier le spectateur par son approche quasi-documentaire de la destruction, à la limite du sépulcral, rendant du coup tangible l’intrusion de titans dans un environnement urbain, comme dans le film de 1954. Et d’ailleurs, ce n’est pas un hasard si les premiers affrontements sont uniquement visibles via des écrans de télévision. Mais ce refus de la complaisance ne s’accompagne pas d’un refus du spectaculaire, comme l’a déjà révélé la bande-annonce : l’action est rondement menée, avec ces moments de bravoure proprement bluffants, qui culminent dans un final rendant un hommage jubilatoire aux Godzilla des années 60 et 70. Tout ce déferlement de violence, avec buildings renversés, éventrés, se déroule dans une ampleur et une lisibilité exemplaire, à l’instar de ce qu’avait réussi Guillermo del Toro dans Pacific Rim. À la différence près que Gareth Edwards réussit à faire de son climax le « gros » morceau de son film, et à clore son opéra destructeur sur une note à la fois épique et inquiétante.

En concrétisant tous les espoirs qui étaient placés en lui, avec le traitement respectueux, voire émouvant, d’un matériau que beaucoup auront jugé à tort comme ringard, Gareth Edwards s’impose non seulement comme un réalisateur à suivre par ses qualités techniques intrinsèques, mais aussi comme un conteur de grand talent (bien aidé par le script solide du débutant Max Borenstein). Son Godzilla marque en cette année 2014 la résurrection glorieuse d’un mythe, tel un phénix renaissant de ses cendres… nucléaires bien sûr !


[styled_box title= »Note Born To Watch » class= » »]

Cinqsurcinq
Godzilla
D
e Gareth Edwards
2014 / USA / 123 minutes
Avec Bryan Cranston, Aaron Taylor-Johnson, Ken Watanabe
Sortie le 14 mai 2014
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