Escape from Pretoria : une évasion aux petits oignons
Jouissif et suffocant, Escape from Pretoria recrée l’histoire vraie d’une évasion de prison durant l’Apartheid. Un suspense efficace, emmené par le maître des clés Daniel Radcliffe.
Période terrible dans l’histoire de l’Afrique du Sud, l’apartheid a généré son lot d’histoires vraies à peine croyables. Si elle peut paraître mineure dans la marche du pays vers l’abolition de cette ségrégation d’Etat, la destinée de Tim Jenkins, relatée dans son autobiographie Inside Out, n’en méritait pas moins un coup de projecteur, qui a pris la forme de ce bien-nommé Escape From Pretoria, production anglo-australienne avec rien moins que Daniel Radcliffe dans le rôle de Jenkins. Barbu, les cheveux aux vents, le regard incendiaire, notre cher Harry Potter se transforme en militant anti-apartheid blanc, activiste pour l’ANC au crépuscule des années 70. La répression contre le parti politique de Nelson Mandela, déclaré alors hors-la-loi, est brutale, et Jenkins, qui inonde – littéralement, via des « bombes à papier » artisanales – les rues de tracts militants avec son acolyte Stephen Lee (Daniel Webber, The Dirt), est arrêté et condamné à 12 ans de prison dans la sinistre, mais vétuste geôle de Pretoria. Même si la vie sur place n’a rien à voir avec celle endurée par les prisonniers noirs, les deux hommes n’ont aucune envie de croupir des années derrière les barreaux de ce symbole fasciste et n’ont qu’une idée en tête : s’évader. Aidé par un détenu d’origine française, Leonard (Mark Leonard Winter) et contre l’avis du célèbre Denis Goldberg (Ian Hart), prisonnier politique proche de Mandela, le duo se met en tête de dupliquer toutes les clés de l’établissement pour s’ouvrir une voie périlleuse vers la liberté…
Les clés de la réussite
Des évasions de prison spectaculaires ou fastidieuses, silencieuses ou pétaradantes, il y en a eu des dizaines au cinéma. Toutes ont un point en commun et c’est la bonne gestion du suspense. Que les héros d’Escape from Pretoria soient mis en prison parce qu’ils luttent pour une bonne cause n’est qu’un bonus : par un processus de mimétisme inévitable, le spectateur prend fait et cause, systématiquement, pour le détenu en quête de liberté. N’importe quel réalisateur un tant soit peu capable peut alors créer du suspense au moment opportun, quand les plans des prisonniers menacent d’être mis à jour par un garde trop méfiant, une astuce trop voyante. Ce principe feuilletonnant, qui fait toute la saveur du genre depuis La grande évasion jusqu’au récent Les évadés de Maze, est poussé à son paroxysme dans le film de Francis Annan.
« La mise en scène d’Escape from Pretoria rivalise d’inventivité pour dynamiser une intrigue à l’exemplaire simplicité. »
Quand bien même son contexte historique ne laisse pas entrevoir un résultat aussi pulp et ludique, Escape from Pretoria file droit à l’essentiel en esquivant l’arrière-plan politique et les dissensions philosophiques qui agitent l’ANC (seules quelques courtes scènes avec le personnage de Goldberg colorent politiquement l’intrigue) pour se concentrer sur une seule chose : le plan de Jenkins. Soit la lente et patiente création de clés en bois, reproduites à l’oeil avec les moyens du bord par un héros que l’on soupçonne d’avoir un bon petit bagage d’ingénieur (après tout, il est aussi celui qui fabrique les « bombes » entrevues pendant le prologue). La tension ne vient alors pas seulement de l’étape de création, risquée, de ces sésames précaires : le temps s’arrête à chaque fois que Jenkins doit tester leur efficacité dans les portes qui le séparent, lui et ses complices, de sa libération anticipée.
Pretoria, ouvre-toi
Bien qu’il soit permis de douter de la véracité de certains mini-rebondissements qui émaillent le périple de Jenkins et Lee (après tout, le personnage de Leonard est fictif, même s’il semble remplacer un protagoniste réel de l’histoire), Escape from Pretoria, en délaissant toute intention de reconstitution 100 % réaliste, remplit sa mission de solide divertissement. Usant et abusant d’inserts en gros plans, sur des vis mal placées, des croquis révélateurs ou des gouttes de sueur mal avisées, de visions subjectives de serrures qui auraient fait fureur dans un épisode de Breaking Bad, la mise en scène rivalise d’inventivité pour dynamiser une intrigue à l’exemplaire simplicité. On vous met au défi de ne pas trembler pour Jenkins et son bout de chewing-gum de la dernière chance, ou durant cette satanée ronde de garde mettant à l’épreuve le talent d’équilibriste de nos héros pendant de longues secondes. De moments purement cinématographiques, roboratifs, mais jouissifs au dernier degré tant ils suivent un crescendo parfaitement orchestré.
Dans la peau d’un maître des clés plein de ressources malgré tout en proie à de sévères crises de panique, Daniel Radcliffe continue d’enrichir sa panoplie de rôles à contre-emploi convaincants. Il forme avec un malicieux Daniel Webber et le cabotin et expansif Mark Leonard Winter un trio rapidement attachant, dont on attend pendant deux heures exaltantes qu’une seule chose : qu’ils échappent aux griffes de ces patibulaires Boers… Hautement recommandé !