The Dirt : sexe, drogues et Mötley Crüe

par | 11 avril 2019

La vie de débauche et de tragédies du groupe de rock californien Mötley Crüe est portée à l’écran avec entrain, mais sans génie aucun dans le biopic The Dirt.

La vie des stars du rock, ou plutôt leur mode de vie, est une source inépuisable de fascination pour le grand public, la source de nombreuses anecdotes et légendes qui s’entrecroisent jusqu’à ce que le mythe soit plus grand que ses acteurs eux-mêmes. Le succès monstre, et pour le moins imprévisible, de Bohemian Rhapsody, a rappelé d’un coup l’appétit des spectateurs pour le genre du biopic musical, et on ne peut imaginer meilleur moment pour Netflix, pour distribuer sur sa plateforme The Dirt, adaptation longuement repoussée de l’autobiographie chorale du groupe de sleaze rock Mötley Crüe parue en 2001. Un livre sulfureux, fidèle à la réputation du groupe californien, où les faits et les souvenirs plus ou moins enjolivés se mélangeaient justement pour participer malgré tout à entretenir le culte autour de quatre rockeurs plus chanceux que véritablement géniaux.

En mode Californication

En cela, The Dirt est fidèle à sa source littéraire. Même si « basé sur des faits réels », le film de Jeff Tremaine (l’homme derrière les films) est bâti tout entier à la gloire du groupe Mötley Crüe, à la retraite depuis 2015, mais qui profite du long-métrage – dont ils sont à parts égales producteurs – pour sortir de nouvelles chansons et une BO qui permettra de faire connaître leurs tubes à la jeune génération. Il n’y a aucun mal à ça, mais il est utile de garder en tête cet aspect « contrôlé » des choses quand on découvre The Dirt. Un film qui délivre dès les premières images ce qu’il promet (du sexe débridé, des grosses guitares, de l’alcool à foison, des lignes de coke à en faire pâlir les loups de Wall Street, des brushings à faire frémir Jean-Paul Gaultier) tout en veillant à s’excuser en fin de parcours pour les gros mots et les tables renversées par terre. So 80s, certes, mais so 2019 aussi, en fait.


Après un prologue à base de femme fontaine qui donne le ton, The Dirt nous raconte la fondation du groupe dans des scènes qui rappellent involontairement le parodique Tenacious D : the pick of destiny. Nikki Sixx (Douglas Booth de The Riot Club, un peu trop beau gosse) est donc ce fils mal-aimé marginal, qui embrasse une carrière musicale avec plus ou moins de succès, jusqu’à ce qu’il raconte le batteur ahuri Tommy Lee (Colson « Machine Gun Kelly » Baker) qui ne sort jamais sans ses baguettes. Ils décident de démarrer un groupe en recrutant le « vieux » guitariste Mick Mars (Iwan « Bolton » Rheon, qui décroche la palme de la pire perruque) et le chanteur blondinet Vince Neil (excellent Daniel Webber, The Punisher). Comme dans tout bon biopic du genre, leur première réunion ressemble à une sainte révélation (la première à voir leur répétition lâche d’ailleurs un beau « Oh my god ») et leurs débuts sur scène laissent craindre le pire, avant que n’arrive l’inévitable montage musical permettant d’accélérer par magie jusqu’au moment où, boum, Mötley Crüe est un groupe de multimillionnaires !

Amours, gloire et tragédies

À partir de là, The Dirt retranscrit à l’image les passages marquants du livre (une rencontre avec Ozzy Osbourne et ses fourmis, le saccage de nombreuses chambres d’hôtel, les groupies peu farouches qui défilent dans les vestiaires), tout en consacrant une large part du métrage, non pas au processus de création des albums – quoique efficace, la musique de Mötley Crüe n’appelle pas à des dissertations infinies – mais aux péripéties qui marquèrent la vie des quatre rockeurs. Vince Neill, alcoolique notoire, alla en prison pour avoir causé la mort au volant d’un ami batteur, et perdit sa fille malade d’un cancer. Nikki Sixx fit une overdose et fut déclaré mort cliniquement pendant quelques minutes. Mick Mars est atteint d’une maladie dégénérative qui manqua de le paralyser. Tommy Lee, chaud lapin constamment shooté, connut lui pas mal de relations amoureuses hautes en couleur, dont la plus célèbre, avec Pamela Anderson, est totalement éludée dans le film.

Là se situe aussi le paradoxe de The Dirt, qui fait de la débauche invraisemblable de ses héros un argument marketing, mais refuse de les montrer vraiment sous un mauvais jour. Tommy Lee passa quelques mois à l’ombre pour violences conjugales. Vince Neill quitta le groupe (contrairement à Bohemian Rhapsody, le film n’invente rien dans cette rupture prolongée), mais son remplaçant John Corabi, qui apparaît dans le film, ne prononce même pas une ligne de dialogue. Et le film néglige, c’est pratique, toute une décennie d’insuccès, de procès et de brouilles pour donner l’illusion que le groupe est resté soudé pendant quarante ans comme une vraie famille, ce qui justifie un épilogue crémeux et kitsch au possible. Au moins, Tremaine et ses producteurs ne sont pas dupes du caractère fantasmé de leur création, comme en témoignent ces dialogues adressés à la caméra, et des apartés méta sur des personnages réels supprimés à dessin du scénario. Cette candeur, qui fait aussi le charme d’un groupe à paillettes exubérant comme Mötley Crüe, ne masque qu’en partie la pauvreté d’une mise en scène sans panache, qui ne s’éveille qu’en de rares occasions, comme ce récit à la première personne d’une journée dans la vie de Tommy Lee, conçu dans un style frénétique qui rappelle Les lois de l’attraction. Des éclairs de fun qui secouent un métrage honnête, clinquant, mais inoffensif et un peu trop servile.