Exit : métro, boulot, claustro

par | 29 janvier 2020

Huis-clos danois très efficace, Exit nous plonge dans un huis-clos souterrain aux côtés de personnages opposés confinés après une catastrophe. Prêts à suffoquer ?

Les films qui n’ont l’air de rien et nous embarquent sans crier gare sont une denrée rare qu’il faut chérir. À première vue, qu’est-ce qui pourrait faire de Exit (Cutterhead en VO) un long-métrage à ne pas manquer ? Certes, le film est danois, et le petit pays scandinave a pris la bonne habitude d’exporter chez nous des œuvres de très haute qualité. Mais ni le réalisateur Rasmus Kloster Bro, ni le casting ne nous sont familiers. Et le film, brut de décoffrage, nous plonge dans un véritable chantier souterrain, celui de la construction du métro de Copenhague, où l’équipe a pu tourner ce huis-clos aux couleurs terreuses et métalliques. Bref, rien de sexy. Et pourtant, Exit dégoupille à son rythme, au fil d’un scénario bien moins innocent qu’il n’y paraît, une véritable expérience de confinement dramatique. Quand les héros ont autant besoin d’air que le spectateur pris au piège avec eux, c’est que le cinéaste aux manettes a réussi son coup.

Souriante et détendue, Rie (Christine Sonderris, croisée dans la série The Rain) est une journaliste autorisée à explorer le chantier du métro en interviewant sur leur lieu de travail les ouvriers qui s’attèlent à leur pharaonique tâche. Rie « a le droit d’entrer où elle veut » et s’enfonce toujours plus profondément dans des tunnels encore fumants, faisant à la fois les questions et les réponses face aux employés étrangers qui ne parlent que peu le danois. Cette auto-célébration de l’esprit d’équipe international prend un tour différent lorsqu’elle parvient à la « tête de coupe » (cutterhead en VO), et rencontre Ivo (Kresimir Mikic), chef d’équipe croate, et son assistant d’origine érythréenne Bharan (Samson Semere). Un incendie sournois les force à se retrancher dans le caisson hyperbare derrière la foreuse, et rapidement, le niveau d’oxygène chute. Le reportage bon enfant vient de virer au piège mortel…

Désillusions au bout du tunnel

Dès son générique d’ouverture, qui nous plaque face à un mur de béton sur le point d’être détruit par une foreuse, Exit annonce les choses clairement : nous sommes dans un univers d’où toute fuite est impossible. Profitant de décors réels dont la dimension intimidante saute tout de suite aux yeux, Kloster Bro définit un espace mental oppressant, caverneux et recouvert d’une litanie de bruits métalliques, que sa mise en scène détachée rend d’autant plus inquiétant. À la manière d’un REC qui se serait passé de l’argument du found footage, Exit nous désarme scène après scène en filmant le reportage de Rie comme une aventure superflue, sans enjeux autres que de conforter l’héroïne dans ses idées préconçues, comme si tout était couru d’avance. On saisit d’autant mieux son désarroi quand un grain de sable en apparence anodin vient gripper la machine, et perturber l’ordre établi.

« Exit est aussi une percutante et rageuse satire sociologique, faisant tomber les masques de chacun de ses protagonistes
une fois qu’ils ont le dos au mur. »

Car Exit n’est pas seulement un huis-clos très efficace, enfermant comme les meilleurs exemples du genre une poignée de personnages dans un espace dont on peut presque sentir le côté exigu, où le simple fait de pouvoir respirer devient une obsession majeure. C’est aussi une percutante et rageuse satire sociologique, faisant tomber une fois le dos au mur les masques de chacun de ses protagonistes, dont les racines, la langue et la classe sociale les oppose plus qu’elles ne peuvent les rapprocher. Même si elle doit emprunter pour cela des raccourcis attendus, la tension monte de manière irrévocable jusqu’à un final qui mérite, et c’est un euphémisme, le qualificatif d’étouffant. Exit , sous le vernis de film catastrophe minimaliste qui lui a sans doute permis d’avoir cette carrière internationale (et de glaner quelques prix comme celui du festival de Strasbourg), laisse un goût désabusé dans la bouche, à l’image d’un dernier plan suintant de colère rentrée, où la peur de disparaître cède irrémédiablement la place à la peur, plus primale encore, de l’autre.