Durant sa phase de développement à la fin des années 2000, Face à face (Killing Season en VO, ce qui est déjà beaucoup plus marquant) était encore un projet diablement excitant, et pour cause : le script d’Evan Daugherty (Blanche-Neige et le chasseur), alors intitulé Schrapnel, devait être mis en images par nul autre que John McTiernan. Le réalisateur du Treizième Guerrier, englué dans les problèmes judiciaires qui lui vaudront de passer une année en prison, n’avait malheureusement pas réussi à faire démarrer le projet, malgré la présence annoncée, quinze ans après Volte-Face, de John Travolta et Nicolas Cage en tête d’affiche.
Quatre ans plus tard, Killing Season devient finalement réalité, avec un scénario re-imaginé pour Robert de Niro, qui doit affronter dans les Appalaches un ancien criminel de guerre qu’il a eu le déplaisir de croiser des années auparavant au front. Le film ne se déroule plus, comme c’était le cas dans les premières versions du scénario, dans les années 70, au lendemain de la guerre du Vietnâm, mais par contre, John Travolta est toujours de la partie. Le film, lui, est passé de la case « affrontement de stars » à celle, beaucoup moins glorieuse de « DTV prestige », le producteur Avi Lerner étant avant tout connu pour enquiller, entre deux Expendables, des séries B délocalisées en Europe de l’Est, dont la majeure partie du budget est consacrée à payer des stars hollywoodiennes en quête d’une deuxième piscine. Forcément, avec une tel pédigrée, il n’est pas étonnant de constater que « McT » a laissé la place à un yes man beaucoup moins doué pour ce genre d’aventure : le réalisateur n’est autre que Mark Steven Johnson, coupable des atroces Daredevil et Ghost Rider (et aussi de la comédie romantique C’était à Rome, si vous voulez tout savoir), ici dépêché pour orchestrer un affrontement entre deux géants qu’on soupçonne d’être là en pilotage automatique. Dans ces conditions, Face à face pouvait-il être chose qu’un atroce ratage ?
Un accent très spécial
[quote_right] »Tout ça est loin de tutoyer le génie, surtout que Johnson se montre toujours aussi incapable de filmer correctement une scène d’action, fusse-t-elle aussi simple que celle où De Niro tombe à l’eau. »[/quote_right]Les premières images ne font en tout cas rien pour nous rassurer : shooté caméra à l’épaule dans un décor anonyme de Bucarest passé au filtre jaune, le prologue veut nous plonger dans l’horreur de la guerre en Bosnie, à laquelle les forces de l’OTAN ont participé, en particulier l’officier Benjamin Ford, parti traquer les criminels de guerre Serbes. L’un d’entre eux, Emil Kovac (avec un nom pareil, il aurait dû être polonais, mais passons), survit à l’exécution en règle pratiquée par les soldats américains. Il parvient, quinze ans plus tard, à retrouver la trace de Ford, désormais retraité et vivant en ermite dans un chalet des Appalaches. Après avoir fait mine de vouloir devenir ami avec lui, en jouant sur leur passé commun de « chasseur », Kovac dévoile ses véritables intentions : il est venu se venger, et faire avouer à Ford les crimes qu’il a commis…
Comme de nombreux internautes l’ont remarqué (notamment sur Imdb), Face à face ne s’embarrasse guère, malgré son background encore sensible, de réalisme ou d’exactitude. C’est bien simple : rien que les premiers cartons d’information ouvrant le film sont constellés d’erreurs historiques grossières, du genre de celles que les ignorants de Fox News débitent à longueur de flash infos. L’incohérence la plus flagrante demeure malgré tout le casting de Travolta dans la peau de Kovac : tout comme Chuck Norris ne pourrait jamais passer pour un Turc, la star de Pulp Fiction ne sera jamais crédible dans la peau d’un Serbe barbu, quoiqu’il arrive. Et surtout pas en employant, de la première à la dernière image, un invraisemblable et très comique accent local (on doute vraiment que les Serbes parlent comme ça), qui n’aurait pas fait tâche dans une production Cannon des années 80. Travolta est un cabotin, c’est un fait reconnu, mais c’est une manie qui passe mieux dans un univers folklo à la Opération Espadon, que dans un thriller supposément sérieux.
Dans l’ombre de Friedkin
Malgré tout, quelque chose passe à l’écran lorsque le clown barbu rencontre De Niro, effectivement peu impliqué, et que le scénario fait d’eux d’improbables frères d’armes, qui envisagent la guerre et ses ravages psychologiques d’une manière très différente. Jamais très éloigné de l’ombre de Traqué, auquel il ressemble énormément jusque dans sa structure narrative, Killing Season cherche à étoffer tant qu’il peu ses deux uniques personnages (les autres rôles, notamment celui de Milo Ventimiglia, se résument à de la figuration), lors d’une séquence de biture étrangement touchante. Le film enclenche la seconde à mi-parcours, les deux acteurs se lançant bientôt dans l’attendue chasse à l’homme rustique (tir à l’arc et vieille Winchester sont au menu) au beau milieu des Appalaches. L’un après l’autre, ils prennent l’ascendant sur leur adversaire, s’infligeant blessure après blessure sans jamais pourtant montrer de gros signes de fatigue, et ce même quand Ford doit, sous la contrainte, faire passer une corde à l’intérieur de sa jambe blessée. De Niro joue au major Dutch en se fabriquant un arc et des flèches en trois heures chrono, Travolta s’essaie brièvement au kata façon Steven Seagal… Tout ça est loin de tutoyer le génie, surtout que Johnson se montre toujours aussi incapable de filmer correctement une scène d’action, fusse-t-elle aussi simple que celle où De Niro tombe à l’eau (oui, sérieusement).
Ce qui sauve plus ou moins cette escapade moins sanglante que mélancolique (le dénouement, assez ridicule si l’on y réfléchit deux secondes, n’en est pas moins inattendu et aurait pu fonctionner si ce qui précédait n’était pas aussi grossièrement écrit et mis en scène) de l’étiquette nanar absolu, ce sont justement ses décors géorgiens, qui ne sont jamais aussi bien mis en valeur que lorque ce sont les caméramen en hélicoptère qui la filment (Johnson, lui, préfère torcher des plans en vue subjective en courte focale). Soutenues par la musique élégiaque et inspirée de Christopher Young (Sinister, Jusqu’en enfer), ces images d’un paradis virginal théâtre d’une guerre intime et absurde, permettraient presque de fantasmer sur ce que Killing Season aurait pu donner entre des mains plus expertes, et avec un choix de casting plus logique. En l’état, le film, assez mou et fatalement caricatural, ne parvient jamais à déjouer nos réticences initiales, et devrait rejoindre rapidement la cohorte de « bisseries sérieuses » oubliées dont Millenium, la boite de Lerner, s’est faite depuis dix ans la spécialiste avouée.
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Face à face (Killing Season)
De Mark Steven Johnson
2013 / USA-Belgique / 91 minutes
Avec Robert de Niro, John Travolta, Milo Ventimiglia
Sortie le 10 février 2014 en DVD et Blu-ray chez Metropolitan Filmexport
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